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sous quelque prétexte que ce puisse être,.. à peine de 3,000 livres d’amende contre chacun des contrevenans. » J’ai choisi ce privilège entre beaucoup d’autres parce que les termes en sont plus forts que d’ordinaire, et qu’en même temps on y voit mieux contre quelle diversité d’ennemis, — contrefacteurs étrangers, libraires de provinces, colporteurs ou étalagistes parisiens, faiseurs de feuilles, compilateurs d’extraits, sans parler des faussaires qui changeaient le titre seulement d’un livre et le vendaient pour nouveauté, — la librairie parisienne avait alors à se défendre. Il est daté de 1778. On en a de plus anciens, contenant plus au long ce que j’appellerai la justification et la raison d’eux-mêmes. Tel est le privilège de la première édition du Dictionnaire de l’Académie : « Comme l’impression de ce dictionnaire sera de très grands frais, et qu’il y aurait à craindre, lorsqu’il sera achevé, que le désir du gain ne portât d’autres personne à le contrefaire, soit en changeant le titre ou l’ordre, soit en y ajoutant ou retranchant, soit en le réduisant en Epitome ou en quelque autre manière que ce soit, ce qui serait de notable préjudice à ceux qui se seraient chargés des frais de l’impression... Même, comme il n’est pas impossible que depuis longtemps que cet ouvrage est commencé, plusieurs gens de lettres n’aient eu connaissance de la méthode et de l’exactitude avec laquelle les mots de la langue y sont examinés, vu les différentes personnes, comme copistes et comme écrivains, qui ont été employés pour le mettre au net, et qu’il n’est pas juste que, si cette connaissance est parvenue à d’autres, ils se puissent prévaloir de l’industrie et du travail de cette compagnie... À ces causes... » Et la suite à peu près comme on a vu tout à l’heure.

Les gouvernemens dignes de ce nom sont doués d’un merveilleux instinct pour subodorer, en quelque sorte, les occasions d’étendre obliquement leur pouvoir et de faire tourner au profit de leur domination les faveurs mêmes qu’ils accordent. On ne tarda pas à s’aviser que, puisque les auteurs et les libraires avaient besoin, vu la nature spéciale de leur propriété, que l’état la protégeât par un acte aussi d’une nature spéciale, on pouvait sans doute leur imposer des conditions, et ne leur accorder ce privilège, qui leur devenait indispensable, que sous certaines obligations qu’il restait à déterminer. On peut comparer la nature de ces obligations, — comme d’imprimer sur de beau papier, en beaux caractères, avec de belles marges, sous la surveillance de correcteurs congrus en la langue latine et capables au moins de lire le grec, — à ces conditions que plus tard les règlemens de Colbert imposèrent à l’industrie française en général et plus particulièrement à l’industrie de luxe. L’industrie nationale devait être, comme toute chose en France, digne de l’éclat du trône, et il ne convenait pas à Louis XIV que sa magnificence fût tributaire