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nationale, de rien mépriser. Il était bon de renouveler sur plusieurs points les sources de l’enseignement, et j’aurais applaudi bien volontiers aux réformes qui installaient l’étude approfondie des textes, la science des antiquités historiques, la connaissance des origines, l’interprétation des documens, si tout cela s’était fait sans qu’on sacrifiât la littérature proprement dite, si l’on avait su maintenir les deux termes du problème sans en supprimer un, si l’on s’était donné la tâche de vivifier l’érudition par le goût et le goût par l’érudition. Tout cela s’est-il fait dans une proportion exacte et sage ? N’y a-t-il pas eu rupture d’équilibre ? S’est-on toujours occupé avec autant de soin de garder dans toute sa pureté et sa délicatesse le sens littéraire, de cultiver le talent d’écrire, qui n’est pas, comme le croient certaines gens trop désintéressés dans la question, un art de rhéteur, mais bien l’art de choisir pour chaque pensée l’expression la plus juste et d’en discerner les plus fines nuances ? S’est-on donné autant de peine pour cela que pour développer les connaissances philologiques, épigraphiques, archéologiques, qui elles-mêmes ne seraient rien si elles n’étaient des auxiliaires pour la pensée ? Certes j’estime ce que valent ces connaissances. Elles sont un moyen, mais elles ne sont pas leur but à elles-mêmes ; elles sont un moyen précieux pour mieux connaître l’antiquité dans ses origines et dans ses vraies formes, et pour en extraire les matériaux d’une science authentique de l’humanité, ce qui revient à dire qu’elles sont au nombre des élémens avec lesquels se construisent les idées générales. Mais la contemplation du moyen ne doit pas faire oublier le but, et j’ai peur que plusieurs de nos jeunes gens ne s’y complaisent uniquement. Des chefs distingués de la nouvelle université résumaient un jour ce mouvement qui l’emporte vers des études exclusives et spéciales, dans ces deux mots qui me sont restés dans l’esprit. L’un me disait avec une sorte de regret : « Que voulez-vous ? la littérature est en pénitence. » L’autre prononçait une parole plus grave encore : « Nous ne voulons plus de critiques dans l’ancien sens du mot ; il nous faut des chercheurs d’inédits. » Ces aveux portent loin. Ils sont la preuve que la littérature didactique a triomphé depuis un assez grand nombre d’années, dans les régions universitaires, de la littérature proprement dite. Ils expliquent pourquoi une des sources principales de la critique s’est soudainement tarie. Un cours nouveau a été imprimé aux études, aux aptitudes, aux vocations des élèves de notre École normale. Libres en apparence, la plupart ont obéi à la persuasion qui émanait de la personne et des leçons de maîtres habiles en même temps qu’aux suggestions qui leur venaient des dispensateurs de leur avenir. En sortant de l’école, l’élite de cette belle jeunesse part invariablement pour les écoles savantes d’Athènes ou de Rome, d’où elle revient