Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ce système mixte est rare, et le cas le plus ordinaire est celui du parti-pris inflexible de l’excommunication réciproque, ce qui dispense de lire, allège la besogne et simplifie la critique. Ainsi se fondent, sur toute l’étendue de la France intellectuelle, des sectes fermées, même en littérature, des coteries livrées à toute la violence des partis et à l’inintelligence des passions politiques.

À cette fureur d’excommunication littéraire correspond la manie presque plus ridicule des apothéoses. Chacune de ces petites sectes politiques où fleurit l’anathème contre les talens qui ne sont pas enregistrés s’organise en une société d’admiration mutuelle qui ne chôme guère, tout le long de l’année, d’œuvres nouvelles et de génies improvisés. Il faut le dire, du mal même sort le remède. Ni ces enthousiasmes de commande, ni ces mépris ou ces silences imposés n’ont plus grande signification. Ils sont inoffensifs à force d’exagération, et la sottise poussée à ce point devient une sorte d’innocence. Par suite de l’injustice générale qui est une habitude, une loi de notre époque, il se produit un effet compensateur qui la corrige : c’est l’avilissement de la louange et de l’injure. Rien ne compte plus et ne porte plus.

Pour la louange, cela va de soi; elle se discrédite par sa vanité. Quel homme de mérite ayant mis la main à une œuvre difficile, consciencieuse, n’échangerait pas volontiers des éloges sans portée, dont on sent l’inanité sous l’enflure des mots, contre un article de discussion sérieusement motivé, fùt-il même sévère? Mais on ne choisit pas ses juges. L’injure n’est pas moins discréditée que la louange. Dans une discussion, n’avez-vous pas remarqué qu’une voix qui force le diapason, après avoir imposé d’abord aux auditeurs une attention douloureuse, les fatigue et n’est bientôt plus perçue par eux que comme un cri désagréable qui les empêche de penser et de causer? Il en est de même de ces invectives de parti-pris, qui n’ont même pas pour elles l’excuse de la sincérité. C’est le sort et le châtiment des hyperboles qui durent trop ou se renouvellent trop souvent; elles détruisent leur effet. On n’a jamais, autant que de nos jours, abusé des notes criardes et fausses. En ce temps de dictionnaires de tout genre, il en est un que l’on a oublié de faire et qui aurait un assez beau débit : c’est le vocabulaire des injures; ce serait le véritable instrument des discussions actuelles et comme un auxiliaire providentiel de la polémique. — Mais qui donc serait assez ingénu pour se sentir atteint par des armes de ce genre? Ah! qu’il fait bon quand on a respiré quelque temps l’air de ces polémiques, d’en secouer l’odeur malsaine en ouvrant l’une de ces œuvres où règnent la mesure, l’harmonie, où brille la juste proportion des choses, où chaque mot a sa valeur, chaque jugement sa nuance, chaque opinion sa raison! Là encore, comme chez Pascal