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de guerre de l’électeur, l’opposition fut d’abord à peu près unanime; le chevalier de Belle-Isle, on l’a vu, ne fut pas de ceux qui le combattirent le moins vivement : « C’était bien là, disait-on, une idée de ce cerveau brûlé et sa manière de mener hommes et choses à la Tartare

Cependant que faire? L’extrémité devenait d’heure en heure plus urgente : temps et moyens de siège réguliers manquaient également, et d’un instant à l’autre le maréchal Neipperg et le grand-duc pouvaient apparaître : « Nous étions dans le cas, disait plus tard l’intendant Séchelles, de recourir aux empiriques. » Soutenu par l’avis du général qui commandait l’armée saxonne et surtout par la voix impérieuse de la nécessité, Maurice finit par l’emporter. Il fut décidé que trois attaques seraient tentées à la fois : deux sur la rive droite de la Moldau : l’une, par les Français; l’autre, par les Saxons, celle-ci seulement ayant quelque chance de réussir. Au moment où ce déploiement de forces et d’artillerie attirerait toute la garnison de ce côté, Maurice essaierait dans l’ombre, sur la rive gauche, la téméraire surprise, dont, avec une troupe d’élite, il courrait seul tous les risques.

Le nombre d’hommes que comportait un pareil mystère était restreint; aussi Maurice les choisit-il avec le plus grand soin : sa petite troupe dut être divisée en deux escouades. Quatre compagnies de grenadiers des régimens de Beauce et d’Alsace, et quatre cents dragons durent être chargés de l’assaut nocturne, qui était l’opération vraiment périlleuse. Le reste, composé de mille hommes d’infanterie et environ douze cents cavaliers, dut rester en arrière pour entrer dans la ville avec Maurice lui-même si les assaillans, parvenant à se glisser dans l’intérieur, réussissaient à en ouvrir les portes. Quand il s’agit de désigner les officiers de chacun des deux groupes, il y eut concurrence dans la jeune noblesse de l’armée : c’était à qui voulait courir la grande aventure. En définitive, le commandement de cette périlleuse avant-garde fut remis à deux chefs aussi différens d’âge que de position et qui ne se ressemblaient que par leur valeur : l’un était le comte de Broglie, jeune fils du maréchal, officier très distingué, qui, servant depuis l’âge de quinze ans, à vingt-quatre ans comptait déjà neuf années de campagnes, et commandait le régiment de Luxembourg; l’autre, un simple lieutenant-colonel, du régiment de Beauce, modeste officier de fortune, François de Chevert, qui, sans aucun protecteur, était péniblement parvenu, dans la maturité de sa vie, à un grade encore secondaire. Ce jour-là cependant, par un juste honneur pour le mérite éprouvé et pour l’expérience, mais au grand déplaisir du jeune colonel, ce fut l’inférieur qui eut la préséance. Chevert dut monter le premier avec les grenadiers, et Broglie le suivre avec les dragons.