Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frédéric n’en concluait nullement que tout fût rompu et ne décourageait en aucune manière la cour de Vienne de préparer (comme l’y autorisait formellement l’article 7 du protocole du 9 octobre), un traité définitif pour l’entrée de l’hiver. C’est ce que M. d’Arneth nous apprend et ce qui résulte aussi d’une lettre adressée par le colonel de Goltz à lord Hyndfort. Tout en avertissant le ministre anglais de l’extrême irritation éprouvée par le roi, Goltz en conclut seulement que la reine de Hongrie doit se montrer, à cause de cela même, plus large et plus pressée dans ses concessions : « C’est l’heure du berger, dit-il, pour la reine : aut nunc aut nunquam. » Frédéric avait ainsi deux traités à la fois sur le métier, l’un déjà signé avec la Bavière consommant la ruine de la monarchie autrichienne par le partage de ses états, l’autre en préparation à Vienne, destiné au contraire à sauver cette même monarchie, moyennant le sacrifice de tout ou d’une partie d’une seule province. De savoir maintenant auquel des deux il donnerait son adhésion définitive, c’est ce qu’il laissait décider à la fortune. Tout dépendait du succès des opérations qui allaient être tentées en Bohême par les armées alliées et dont il se proposait de rester tranquille spectateur. Si la France et la Bavière l’emportaient, il resterait de leur côté pour partager leur triomphe. Si le sort des armes leur était contraire, il les abandonnerait à leur malheur et se contenterait de son gain modeste. C’était du reste l’accomplissement de ce qu’il avait dit, en sens inverse, au maréchal Neipperg : « Soyez heureux, je suis avec vous; mais si vous succombez, je penserai à moi-même. »

Sans se rendre peut-être un compte aussi net de la situation, Belle-Isle comprit pourtant parfaitement que, n’ayant plus rien à attendre de l’amitié ni de la loyauté de Frédéric, la partie qui allait se jouer en Bohême était décisive. Si elle était perdue, le roi de Prusse lâchant tout à fait pied, la défection devenait universelle; il en voyait déjà tous les symptômes autour de lui dans ce langage, devenu subitement ambigu et réservé, des agens de tous les électeurs qui lui avaient promis leurs voix. Il n’avait plus le choix, il fallait jouer sur une seule carte la destinée de l’empire, de l’Allemagne, de la France, et sa propre fortune.

Or, en calculant les chances, son inquiétude devenait extrême. Lentement, péniblement, après bien des marches et des contre-marches, l’électeur avait fini par amener les armées en vue de Prague. Il disposait à peu près de cinquante mille hommes, ayant dû laisser à Linz une forte division sous les ordres du marquis de Ségur pour garder la possession de la Haute-Autriche et les communications avec la Bavière. Ces forces étaient suffisantes pour faire le siège de la place, qui ne contenait qu’une faible garnison, mais à