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de sens : « J’ai eu l’honneur de vous dire, fit-il observer, que nous voulons bien cesser de faire la guerre, mais que nous ne voulons pas paraître avoir cessé de la faire. Or ne pas prendre de quartiers dans la Haute-Silésie ne serait-il pas déclarer à tout le monde que nous en sommes convenus ou que nous sommes des imbéciles?.. Je vous dirai plus; c’est que, quand nous serons tous d’accord, il ne faut pas cesser de tirer de temps en temps quelques coups de pistolet; nous serons tout tranquilles sans faire un pas en avant; mais, de votre côté, il faut que vos hussards viennent quelquefois nous inquiéter, enlever quelques chariots et faire de petites hostilités pareilles. Ne me parlez donc plus de ces malheureux quartiers. » La remarque parut juste. La Haute-Silésie fut abandonnée à Frédéric pour tout l’hiver, sous la seule condition de n’y point lever de contributions de guerre, et dans le protocole qui fut préparé il fut stipulé en propres termes que quelques hostilités auraient encore lieu pro forma[1].

Ce document, dont nous avons le texte, est un simple procès-verbal rédigé par Hyndfort et qui ne porte que sa signature. Le roi avait déclaré qu’il ne mettrait la sienne au bas d’aucun écrit et qu’on devait se contenter de sa parole royale. Mais encore fallait-il l’entendre sortir de sa bouche. Une rencontre était donc nécessaire pour qu’il pût prendre lecture du protocole et y donner son assentiment verbal. Le rendez-vous dut avoir lieu le 9 octobre au soir, dans un petit village appelé Klein-Schnellendorf, à peu de distance de Friedland, où le camp prussien venait d’être transporté. Frédéric prit toutes les précautions pour que sa sortie du camp et son déplacement ne pussent attirer l’attention. Il fit savoir que, ce jour-là, il dînerait tout seul, ayant beaucoup d’affaires à régler, et, afin que cette absence fût moins remarquée, il fit inviter Valori à dîner chez un de ses généraux, le prince d’Anhalt. Avant de se mettre en chemin, l’idée lui vint (du moins il faut le croire) qu’il serait plaisant d’adresser à Belle-Isle, ce jour-là même, de nouvelles assurances propres à l’entretenir dans l’illusion d’un prochain triomphe. Il lui écrivit donc de sa propre main qu’il venait d’expédier tous les pouvoirs nécessaires pour conclure le traité de partage avec la Saxe et la Bavière. « Puis, disait-il, j’ai le plaisir d’admirer le grand rôle que joue ici le roi de France, de soutenir l’électeur, de confondre les mauvais desseins de l’Angleterre, de désunir les Hollandais et de porter la guerre jusqu’aux portes de Pétersbourg. Il était réservé à Louis XV d’être l’arbitre des rois et à M. de Belle-Isle d’être l’organe de sa puissance et de sa sagesse. Je suis avec toute l’estime et l’amitié imaginables, mon cher maréchal, votre très fidèle

  1. Goltz à lord Hyndfort, 30 sept. 1741. — Pol. Corr., t. I, p. 359, 371.