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la situation où je suis et plus je suis convaincu de mon insuffisance. Je sens combien je suis peu propre à trouver des emplâtres aux manques de parole et à des variations de toute nature qui remplissent ma tête de soupçons auxquels je ne veux pas m’arrêter et encore moins vous les mander... Vous trouverez sans doute que mes lettres sont différentes et que je chante pour ainsi dire la palinodie; mais je crois ce ton de musique nécessaire dans ce pays de variations. »

Son trouble était d’autant plus grand qu’une extrême fatigue devait s’y joindre. Il n’osait perdre le prince de vue, comme s’il avait craint qu’il ne lui échappât, et celui-ci se faisait un malin plaisir de le promener au galop tout le long du jour, de poste en poste, le harcelant de railleries sur l’obésité qui lui rendait le métier de cavalier très pénible. Le soir venu, il y avait de quoi ne plus pouvoir se tenir sur ses jambes ni lier deux idées ensemble. Au bout de quelques jours de cet exercice, le roi l’engagea pourtant à aller se reposer à Breslau, où il ne tarderait pas à le rejoindre. Valori suivit cet avis charitable, mais sans pouvoir bannir de son esprit la pensée que la précaution avait aussi pour but de mettre un terme à ses observations indiscrètes sur les opérations du siège[1].

L’embarras de Valori lui fait honneur, car pour démêler le tissu d’intrigues qui passait sous ses yeux, il aurait fallu être capable d’en nouer soi-même la trame. Il ne l’était pas, et je ne sais, en vérité, sauf Frédéric, qui l’eût été. Depuis que le dessous des cartes nous est connu (puisqu’il a convenu aux archivistes prussiens de les mettre toutes sur la table), il faut avouer que jamais, dans aucune comédie à caractère, fourbe de profession ne recourut à de pareils tours de passe-passe. Voici, en effet, ce qui avait eu lieu:

Le colonel de Goltz était bien chargé, comme il l’avait dit, d’engager lord Hyndfort à s’éloigner, mais il avait négligé d’ajouter qu’à ce conseil était jointe une communication d’une tout autre nature. Le roi (avait-il commission de dire à l’envoyé anglais) trouvait les propositions de la reine de Hongrie parfaitement satisfaisantes et n’en demandait pas davantage. Mais, venant de signer avec les ennemis de la reine un traité en cours d’exécution, décemment il ne pouvait en conclure avec elle un tout contraire. La seule chose qui fût possible, c’était un accommodement provisoire qui ménagerait la transition et dont les termes seraient ceux-ci : « On laisserait l’armée prussienne s’emparer de Neisse, à peu près sans coup férir; la ville ne se défendant qu’en apparence et le maréchal Neipperg s’abstenant de la secourir. En retour, le roi, une fois la ville

  1. Valori à Belle-Isle, P, 12 octobre. — A Amelot, 17 octobre. (Ibid.) — Mémoires de Valori.