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et de dispositions du roi de Prusse sur la cession de Glatz est le commencement de ce qu’on appelle une querelle d’Allemand? Je vous avoue que je ne suis pas tranquille à ce sujet. » Et il avait d’autant plus lieu de ne pas l’être qu’il apprenait en même temps que, soit que le conseil porté par le colonel de Goltz à lord Hyndfort n’eût pas été donné assez clairement ou n’eût pas été suivi, cet agent n’avait quitté l’armée que pour s’arrêter à quelques lieues de là, se disant malade. Il restait dans le voisinage de Neisse, à égale distance des camps prussien et autrichien, et communiquant, grâce à son caractère diplomatique, librement avec l’un et l’autre.

Puis quand Frédéric commença, comme il l’avait annoncé, l’attaque de Neisse, Valori, qui avait des prétentions à se connaître dans l’art du génie militaire et qui endoctrinait volontiers sur cette matière, ne put s’empêcher de remarquer que le siège dont il était témoin avait une physionomie étrange qui ne ressemblait à aucun autre : ni assaillans ni assiégés ne jouaient franchement leur jeu ; les uns avaient l’air de n’attaquer que pour la forme, les autres de ne se défendre que par bienséance. De plus, l’armée du maréchal de Neipperg, campée dans le voisinage, ne semblait pas se mettre en peine de porter secours à la ville en détresse. Devant ces allures suspectes, Valori se demandait involontairement, sans oser tout à fait s’arrêter à cet odieux soupçon, s’il n’était pas le jouet d’une comédie[1].

A la vérité. Frédéric, qui suivait sur son visage le travail intérieur de son esprit, semblait de temps à autre prendre soin, sinon de le rassurer, au moins de le déconcerter. Aussi un soir, à souper, l’ayant, comme d’ordinaire, fait asseoir à ses côtés et recevant une lettre apportée par un trompette, il la lui fit encore cette fois passer après l’avoir lue, seulement sans y ajouter de commentaire. C’était une nouvelle missive de lord Hyndfort, qui pour le coup semblait découragé et prenait un congé définitif. « Je suis au désespoir, y était-il dit, de voir augmenter plutôt que diminuer l’inflexibilité des deux états. Je n’ai que la conscience d’avoir fait mon devoir, et comme ma santé est un peu rétablie, je m’en retourne aujourd’hui à Breslau, où j’attendrai les ordres de Votre Majesté. » Devant ce démenti catégorique donné à ses alarmes, Valori dut rougir intérieurement de son jugement téméraire. Mais, comme dès le lendemain les indices suspects reparaissaient, il se trouvait entièrement dérouté et ne savait plus que croire, ni surtout qu’écrire à ses chefs : il confessait lui-même avec désespoir à Belle-Isle la confusion d’idées contradictoires qui, se heurtant dans son cerveau, menaçaient de le faire éclater. « Plus j’avance, monseigneur, dans

  1. Valori à Belle-Isle, 7 octobre 1741. (Ibid) — Mémoires de Valori, t. I, p. 128.