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À ces causes de dissentiment qui gênaient la conduite des opérations militaires s’en joignaient d’autres plus graves que faisait naître le partage anticipé des dépouilles de l’ennemi commun. Sur ce point, nulle difficulté ne venait du côté de la France, qui n’élevait aucune prétention personnelle. Mais il n’en allait pas de même entre la Bavière, qui se portait héritière de tout le patrimoine autrichien, et la Prusse, qui en voulait sa part. Pour le moment, à la vérité, la Silésie suffisait à Frédéric, mais à la condition d’y joindre quelques lisières de territoire et quelques places fortes qu’il jugeait nécessaires pour assurer la défense de sa nouvelle possession. C’était là un point qui ne pouvait être réglé que par un traité à débattre entre les deux prétendans, donnant lieu à plus d’une contestation

Encore, avec l’électeur de Bavière, aurait-on pu s’entendre assez facilement, car le bon prince, d’humeur accommodante et d’un esprit peu perspicace, défendait mal ses intérêts et se laissait aisément séduire par les caresses de Frédéric; l’illusion allait même parfois jusqu’à donner un peu d’impatience à Belle-Isle. « Le roi de Prusse, écrivait-il dans un jour d’humeur, envoie journellement des lettres pleines d’affection et de promesses à l’électeur, accompagnées des cajoleries dont il n’est pas chiche, car, suivant les expressions de sa lettre, l’électeur peut disposer du roi de Prusse, de ses trésors et de sa propre personne. Bien entendu qu’il ne lui prête pas un écu et veut lui prendre la citadelle de Glatz[1]. « Mais la difficulté fut plus grande lorsque intervint une troisième partie prenante : la Saxe, enfin décidée par les exhortations de Maurice et par le tour que prenaient les événemens à entrer dans la coalition. Le concours de l’armée saxonne, forte d’environ vingt mille hommes, était très précieux, surtout pour seconder l’agression qu’on allait porter en Bohême. Seulement il fallait le payer à sa valeur; aussi la France et la Bavière étaient-elles décidées à s’acquitter généreusement en cédant d’avance à Auguste III toute la Moravie. Mais Frédéric était plus avare : de là des dissidences nouvelles habituellement envenimées par le caractère emporté et le dévoûment fraternel de Maurice, à qui le roi Auguste confiait la défense de ses intérêts[2].

Je ne sais si ce fut la connaissance des divisions de ses ennemis et l’espoir d’en profiter qui décidèrent Marie-Thérèse à laisser enfin fléchir, même sur le point qui lui tenait le plus au cœur, sa fière

  1. Belle-Isle à Amelot, 26 septembre 1741. (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Le maréchal de Belle-Isle à Amelot, 6-19 septembre et octobre 1741. — Maurice de Saxe à Belle-Isle, 15 septembre 1741. (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.)