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à l’armée, se désole au contraire habituellement de le trouver si peu propre au poste suprême où il aspirait[1]. Il est probable que la correspondance de l’envoyé prussien est muette également sur ce sujet, sans quoi M. Droysen, qui paraît en avoir eu communication, n’aurait pas manqué de confirmer une accusation qui, comme toutes les calomnies prussiennes, a fait fortune, surtout parmi les historiens français, et dont Voltaire lui-même n’a pas craint de se faire l’écho. Les raisons qui motivèrent une résolution si fâcheuse, sans être beaucoup meilleures, sont moins machiavéliques : ce fut, d’abord, le bruit qui se répandit que la reine de Hongrie, abandonnant ses possessions italiennes, rappelait toutes les troupes qu’elle entretenait au-delà des Alpes pour les ramener sur Vienne en traversant la Bavière. L’électeur s’effraya de la pensée qu’il allait être pris à revers pendant qu’on passerait sur le corps de ses états. L’électrice, épouvantée d’être laissée seule à Munich, supplia qu’on gardât les armées à portée de la secourir. Quand cette panique, assez ridicule, fut dissipée, l’automne était avancé, la saison s’assombrissait, et les fortifierions de Vienne étaient mises en état de défense. Ce fut Belle-Isle qui alors insista pour qu’on ne tentât pas une entreprise dont l’échec eut été mortel pour la cause commune. Peut-être, après l’épreuve qu’il venait de faire de la timidité de l’électeur, ne se souciait-il plus de lui confier une opération qui voulait être menée comme un coup d’audace. Si, à ce motif de défiance, il joignit une arrière-pensée plus cachée, ce ne put être que celle-ci, qui ne devait être plus tard que trop bien justifiée. En portant contre Vienne tout l’effort de la campagne, on dégageait par là même la Silésie, car il était certain que le maréchal Neipperg, qui défendait encore la partie méridionale de cette province et quelques places fortes, se mettrait tout de suite en devoir de se replier pour venir protéger la capitale. Était-on sûr que, dans cette retraite, il serait poursuivi bien vivement par l’armée prussienne? Frédéric, une fois maître du lot qu’il s’était adjugé, mettrait-il beaucoup d’ardeur à venir de sa personne porter aide à ses alliés ? Pour maintenir avec lui une action combinée, n’était-il pas plus prudent d’aller le chercher dans le Nord, où il avait besoin d’appui, que de l’attendre dans le Midi quand il n’aurait plus rien à craindre? C’est la pensée que je crois lire à travers les lignes dans cette réflexion que je retrouve plus d’une fois sous la plume du maréchal : Il faut songer que pour le roi de Prusse tout est déjà fait, tandis que pour nous tout est encore à faire. »

  1. Dans cette correspondance, le marquis de Beauvau paraît toujours d’avis de la marche sur Vienne, c’est constamment Belle-Isle qui la déconseille. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères, 9-11 octobre, et passim.)