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étaient ébranlées, presque retournées, et la sympathie pour l’illustre vaincue remplaçait dans beaucoup de jeunes têtes, et surtout dans des cœurs de femmes, la séduction jusque-là exercée par la victoire. En Angleterre, c’était bien plus encore : l’admiration touchait à l’enthousiasme. Des souscriptions furent immédiatement ouvertes pour subvenir ta l’armement des populations fidèles, et la vieille duchesse de Marlborough, la fameuse amie de la reine Anne, sortant de sa retraite à plus de quatre-vingts ans, s’inscrivait la première pour quarante mille livres sterling (un million) tirées des épargnes accumulées qu’elle devait aux victoires de son époux. M. d’Arneth nous dit bien, à la vérité, que l’effet de toutes ces démonstrations fut moral plutôt que matériel, et qu’en définitive, cette levée en masse tourna comme toutes les démonstrations du même genre, qui font plus de bruit que de besogne et dépensent plus d’encre et de paroles qu’elles ne mettent d’hommes en ligne. Mais l’espérance à elle seule est une force, et l’avoir fait renaître pour une cause qui semblait perdue, ce n’était pas, même à défaut d’autre, un médiocre résultat.

Ce qui disposait les esprits à ce retour d’opinion, c’est que la confiance inspirée par les premiers succès des alliés diminuait insensiblement, à mesure que se ralentissait l’activité qui avait caractérisé leurs premières mesures. Une méfiance mutuelle, qui est le mal ordinaire des coalitions, se glissait dans leurs rangs, et par suite, l’hésitation et l’incertitude dans leurs résolutions. Les Français furent les premiers à murmurer, non sans motif, du mauvais état où ils trouvaient les troupes bavaroises, de l’insuffisance de leurs préparatifs et de leurs armemens. Ils se plaignaient tout haut que rien ne leur avait manqué tant qu’étant en territoire neutre ils pourvoyaient eux-mêmes à leurs besoins, et que tout, au contraire, leur faisait défaut depuis que, arrivés chez le souverain dont ils étaient les auxiliaires, c’était de lui et de ses intendans qu’ils devaient attendre leur subsistance.

Puis les résultats des arrangemens équivoques et provisoires adoptés par Belle-Isle ne tardèrent pas à se montrer plus fâcheux encore qu’on ne l’avait prévu. En décernant à l’électeur le commandement suprême des forces coalisées, Belle-Isle avait bien compté que son ascendant personnel suffirait pour rendre cette suprématie purement nominale, et ce calcul eût été probablement justifié si, comme il l’espérait, il fût arrivé à temps pour prendre part aux premières opérations militaires. Mais en attendant sa venue, les troupes françaises n’étant commandées que par un officier-général qui n’avait pas même de titre définitif, ce qui ne devait être qu’une apparence devenait une réalité : mécompte d’autant plus regrettable que l’électeur, se sentant peu fait pour commander, déléguait tous