Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut le garder assez longtemps; de petites et fréquentes vicissitudes, dans une grande situation, ont pour la masse des spectateurs quelque chose de déplaisant et presque d’ennuyeux. Elles diminuent celui qui les accepte quand elles ne le décrient pas. » Malheureusement, à voir tout ce qui se passe encore aujourd’hui, ces agitations, ces incohérences, ces conflits entre le chef du cabinet et les partis surexcités, on est plus que jamais tenté de se demander si les républicains, ceux qui se donnent pour des républicains privilégiés, ne portent pas en eux-mêmes une sorte d’inaptitude à durer, à exercer un gouvernement régulier.

C’est leur faiblesse et leur malheur : ils sont toujours les premiers à ébranler le régime de leur choix, à recommencer les agitations quand la république paraît s’asseoir. Ils parlent sans cesse de faire un gouvernement, de former un parti de gouvernement, et ils sont toujours prêts à favoriser ce qui détruirait tous les gouvernemens. L’instabilité constitutionnelle les attire. Ils ne peuvent se défendre d’un certain goût pour les incidens anarchiques, pour tout ce qui met la désorganisation dans les services publics, dans l’armée, dans la magistrature, dans les finances, et les ministres qu’ils chargent de les représenter au pouvoir craignent par-dessus tout de paraître résister à leur parti. On vient bien de le voir encore une fois dans les récentes élections sénatoriales à propos de cette candidature de M. le commandant Labordère, qui a été imaginée par les radicaux et sur laquelle le gouvernement n’a pas osé avoir une opinion. M. Labordère a donc été élu sénateur par les Parisiens, qui ne manquent jamais une si belle occasion. Il a été élu après avoir quitté son régiment pour venir faire des discours dans les réunions publiques, après s’être laissé représenter comme le candidat de la protestation contre les chefs de l’armée, comme le modèle du soldat refusant au besoin d’obéir. Il ne sera sûrement pas, d’après ce qu’il a dit et écrit, un savant législateur de plus; il reste un spécimen de l’esprit de désorganisation militaire, un triste produit de l’invasion de la politique dans l’armée. Il reste à savoir ce que peut être ce sénateur radical aux quatre galons, dans un régiment où il ne semble pas qu’il ait encore cessé de compter, et comme il n’y a pas deux mesures, ce qui est vrai de M. Labordère l’est tout aussi bien de M. le gouverneur de Saint-Cyr, qui, lui aussi, a été élu sénateur. La candidature de M. le commandant du premier bataillon de l’armée française a fait moins de bruit, il est vrai ; elle ne s’est pas présentée comme une protestation contre d’autres chefs militaires. Ce n’est pas moins l’acte d’un officier quittant son service pour courir les chances électorales, s’enrôlant dans un parti, souscrivant à des programmes, et allant chercher dans un scrutin le droit de contrôler et de juger le premier de ses supérieurs, le chef de l’armée lui-même. Si M. le gouverneur de Saint-Cyr, qui ne s’était pas révélé comme un