Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont ceux en général où l’on saisit quelque allusion discrète aux incidens de sa vie. Le souvenir de ses joies ou de ses tristesses arrive à colorer quelquefois ces pages sérieuses et nues. Ainsi, quand elle disait à sa petite-fille : « Ne mariez jamais vos filles pour suivre seulement leur inclination, mais aussi ne les forcez jamais d’épouser personne pour qui elles aient une aversion invincible, quand même on n’y verrait pas de sujet bien raisonnable, » il n’y a pas de doute qu’elle ne songeât à ce qui lui était arrivé à elle-même. Cette personne si dévote, si rigide, qui le croirait? avait divorcé. Mariée contre son gré par le maréchal de Schomberg, son père, un soldat qui entendait être le maître absolu chez lui, au comte de Brissac, dont Tallemant dit qu’il était « stupide et mal fait,» elle parvint, après deux ans, à faire rompre son mariage par l’officialité. On divorçait donc quelquefois au XVIIe siècle ! L’église n’y mettait pas des obstacles insurmontables quand on était d’un certain rang, et l’exemple de Mme de Liancourt, si estimée, si respectée, prouve que le monde n’en était pas trop scandalisé. Devenue libre, non sans peine, Mlle de Schomberg s’empressa d’épouser M. de Liancourt, qu’elle avait remarqué depuis longtemps. Mais ce nouveau mariage, si ardemment désiré, payé si cher, ne fut pas au début aussi heureux qu’il aurait dû l’être. M. de Liancourt était un époux très volage. Ses galanteries, qu’il ne cachait pas, affligèrent beaucoup sa jeune femme, qui s’étudia pourtant à ne jamais fatiguer ou blesser son mari par ses reproches. Elle avait donc eu l’occasion de réfléchir sur la conduite qu’il faut tenir dans ces circonstances : aussi tout ce qu’elle dit à ce sujet à sa petite-fille est-il plein de délicatesse et d’esprit. Elle veut qu’une femme qui se sait outragée ne paraisse pas trop en colère; elle lui conseille, si son mari lui fait l’aveu de ses fautes, de le recevoir avec douceur, « en essayant seulement de le porter, par toutes les voies raisonnables, à n’y retourner plus. » — « A mon avis, dit-elle, ce n’est pas une bonne méthode de paraître ignorante ou indifférente sur ces choses-là, car cela semblerait venir de peu d’esprit, ou de peu d’amitié, ou de quelque attache ailleurs : mais quand la tristesse que l’on en peut avoir est douce et sans murmure, il n’est point mauvais qu’un mari voie qu’on est aussi sensible que patiente là-dessus. « Il est clair que cette façon d’agir lui avait réussi et qu’elle avait fait par sa douceur la conquête de son mari. Mais ce ne fut pas l’œuvre d’un jour. Ce bon M. de Liancourt, même quand le monde le croyait tout à fait gagné par l’affection de sa femme, était sujet à d’étranges distractions. On raconte que, dans une grande maladie que fit Mme de Liancourt et où l’on crut un moment son état désespéré, beaucoup de dames de la cour et, parmi elles, la belle Mlle de Hautefort, étaient venues consoler le mari, qui paraissait être dans une affliction profonde. « Après qu’elles lui eurent fait leurs complimens, dit un auteur contemporain, Mlle de