Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forte encore de votre égoïsme, ô petit cœur de pierre ! n’êtes-vous pas le vivant symbole des révoltes de la nature contre la main qui veut la comprimer, et l’éternelle dérision de ceux qui ne savent pas voir qu’on ne la réforme qu’en s’y conformant ?

On le voit, s’il y avait dans le Faust de Goethe identité d’apparence avec le Faust populaire, mais après tout différence, et différence assez profonde encore, d’architecture intérieure ; ici, dans la comédie de Molière et dans la nouvelle de Scarron, c’est bien la même ordonnance, et ce sont bien, à n’en pouvoir disputer, les mêmes fondations. Si donc l’invention est là où on la prétend mettre, ce n’est pas l’École des femmes, c’est la Précaution inutile qui est l’œuvre originale. Quelqu’un s’avisera-t-il, par hasard, de le soutenir ? Mais prenez bien garde, en ce cas, où vous allez aboutir. Je vous avertis du danger. Vous allez nier d’abord le style, vous allez nier ensuite le droit d’imiter la nature et de copier la vie, vous allez enfin nier la pensée. Un dernier exemple le prouvera sans réplique. Il est d’ailleurs un nom dont l’autorité nous ferait faute si nous ne montrions qu’il en est de Shakspeare comme de Molière et comme de Goethe, ou plutôt que la part d’invention subalterne est moindre encore dans Roméo et Juliette, par exemple, que dans l’École des femmes, et surtout que dans Faust. Il va sans dire que si Molière était un picoreur, aux yeux de ses contemporains, Shakspeare, aux yeux des siens, n’était qu’une « corneille parée des plumes d’autrui. » Ce drame d’amour n’est peut-être pas le chef-d’œuvre de Shakspeare ; je ne sais même si ce n’est pas l’un de ceux où l’on pourrait signaler le plus de taches légères et de graves défauts ; il n’en est pas moins, après cela, le parangon des drames d’amour. Et il a pour nous cet avantage qu’au lieu d’être emprunté, comme la comédie de Molière et l’épopée de Goethe, à des œuvres d’une exécution si grossière qu’en regard de ce qui en est sorti elles sont en vérité comme si elles n’existaient pas, on n’a pas encore décidé laquelle est la meilleure des deux nouvelles italiennes d’où Shakspeare a tiré Roméo et Juliette.

On fait honneur de l’invention de l’histoire des amans de Vérone à un vieux conteur italien, Masuccio de Salerne, qui joindrait ainsi cette gloire à celle d’avoir inventé (j’avais oublié de le dire), la nouvelle d’où Ser Giovanni d’abord, et Straparole ensuite, ont tiré la prétendue première version de l’École des femmes. Mais, dans ce récit du XVe siècle, M. Émile Montégut, que nous suivons ici pas à pas ne retrouve que la partie « purement mélodramatique » du sujet, le fait divers tel quel, réduit à la combinaison des événemens successifs qui fourniront le squelette du drame. Cinquante ans plus tard, un gentilhomme vénitien, Luigi da Porto, s’en empare à son tour, ou peut-être, car la vie ne laisse pas d’être fertile en événemens identiques.