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caducée, tandis qu’elle porte, en réalité, la marque de P. Vischer : un trident flanqué de deux petits poissons.

Enfin, la réunion des sculptures de la renaissance italienne est une des sections les plus intéressantes du musée de Berlin. La plupart ont été acquises, dans ces dernières années, en Italie, par M. Bode, dont la compétence relativement à cette période de l’art est bien connue. Le caractère franchement naturaliste des premières œuvres de l’école florentine s’accuse d’une manière encore exagérée dans une statue en bronze de Donatello, le Saint Jean, qu’il fit en 1423 pour les fonts baptismaux d’Orviéto. C’est un vrai modèle d’anatomie que ce mangeur de sauterelles réduit par son régime à l’état de squelette. Les mêmes formes anguleuses se remarquent dans un Christ au visage décharné dont la laideur est tout à fait effroyable : Mino da Fiesole, qui en est l’auteur, nous avait habitués à plus de grâce. Voici, à côté, signé du même artiste et daté de 1454[1], le buste de Nicolo Strozzi, une tête énergique, au menton débordant, à l’énorme encolure. Puis, pour continuer cette galerie d’illustrations florentines, un autre Strozzi, Filippo, le riche banquier, avec cette expression de volonté et de rudesse matoise qui se retrouve également dans son buste en marbre du Louvre, répétition à peu près identique de la terre cuite de Berlin et due, comme celle-ci, au talent de Benedetto da Majano. La vérité physionomique est ici d’une puissance extrême, et le modelé scrupuleusement poursuivi porte, jusque dans les moindres détails les accens mêmes de la vie : on dirait un Holbein sculpté. Comme pour ajouter encore à la force du naturalisme, cette terre cuite est peinte de ces colorations assez brutales fort usitées à cette époque et que nous montrent également deux autres bustes de florentins célèbres : Lorenzo de Médicis (n° 674) et ce Rucellai (n° 1037) qui fonda le palais de ce nom et l’église Santa-Maria-Novella. A voir ces colorations qui essaient de calquer celles de la réalité elle-même, il semblerait que la sculpture, encore peu fixée sur son but, se préoccupât surtout alors de procurer l’illusion de la nature. Pour y parvenir, elle emprunte, en effet, des procédés à la peinture et les limites entre les deux arts restent longtemps indécises. Ils empiètent encore l’un sur l’autre, mais de façon déjà plus discrète, quand il ne s’agit plus de retracer l’image vivante d’un contemporain; et les douces nuances dont sont teintées les madones des della Robbia et aussi cette Vierge de Michelozzo qui se détache sur un fond d’or, loin d’être choquantes, ajoutent plutôt au charme de ces œuvres exquises, parce qu’au lieu de prétendre à une imitation absolue de la nature, elles procèdent d’un parti-pris décoratif très admissible.

  1. Une inscription placée sous ce buste nous apprend qu’à cette date, sous Nicolas V par conséquent, Mino était déjà fixé à Rome.