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malgré l’éloignement et l’absence, de quel sang il était sorti, une grande guerre où sa patrie d’origine et sa patrie d’adoption pourraient marcher de concert et où il pourrait travailler à la grandeur de sa famille, en restant dans les rangs, en prenant peut-être la tête de la première armée du monde, c’était le comble de ses vœux et l’idéal de ce qu’il appelait lui-même ses rêveries. Aussi était-il entré dans tous les projets de Belle-Isle avec un enthousiasme passionné. Il ne cessait d’écrire à Dresde lettres sur lettres, de jour en jour plus pressantes, pour préparer la voie aux ouvertures de l’ambassadeur français. Les occasions de revenir à la charge ne lui manquaient pas, car il n’avait jamais cessé d’entretenir avec son frère une correspondance assidue, et même de lui envoyer régulièrement une chronique, tantôt politique, tantôt mondaine, parfois même scandaleuse, de ce qui se passait à Versailles. Si les archives de Dresde se décident jamais à mettre au jour la collection de ces pièces curieuses, on y verra sans doute à ce moment les anecdotes et les commérages faire place à une suite d’excitations belliqueuses écrites dans une langue incorrecte, mais pleine de feu, que rend plus originale encore une orthographe vraiment fabuleuse. Mais c’était peu d’écrire, Maurice aurait voulu accompagner Belle-Isle de sa personne. Il se flattait que sa seule présence aurait enlevé le consentement de son frère et même fait finir la querelle de voisinage entre Dresde et Berlin. « Si je pouvais, écrivait-il à Belle-Isle lui-même, je proposerais d’aller en Saxe et en Silésie. Je crois que j’aurais mis en très peu de jours ces deux rois d’accord. Celui de Prusse m’aime tendrement... Je crois qu’il aurait plus de confiance en moi qu’en qui que ce soit que le roi de Pologne peut lui envoyer. Cela fait, je reviendrais et je me ferais fort de faire sauter le bâton, comme on dit, au roi de Pologne. J’admire votre étoile, ajoutait-il, vous allez être l’arbitre de la Germanie. Vous disposez du sort des états du royaume et des empires. Jamais mortel, depuis les Romains, ne s’est trouvé en pareille passe[1]. »

Fort de cet auxiliaire et guidé par ses conseils, Belle-Isle arrivait ayant déjà toutes ses batteries dressées d’avance. Il eut cette fois l’agrément d’être salué, en débarquant, le 15 avril, par une nouvelle qui était de nature à lui donner du courage. Une rencontre importante venait d’avoir lieu quatre jours auparavant dans les plaines de Molwiz, en Silésie, entre les troupes amenées d’Autriche

  1. Maurice de Saxe à Belle-Isle, 9 août 1741. (Correspondance de Saxe. Ministère des affaires étrangères.) Je me permets comme on peut le voir, de faire une citation anticipée de cette lettre, mais elle ne fait que résumer par une expression vive beaucoup de lettres précédentes conçues dans le même sens. Pour tout ce qui regarde la jeunesse de Maurice de Saxe, consulter l’intéressante biographie de M. Saint-René Taillandier dans la Revue des Deux Mondes, mai-novembre 1864.