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espérons qu’il en sera de même pour la déclaration de M. Suess en ce qui concerne l’or.

N’est-il pas téméraire de dire aujourd’hui que la production de ce métal va tarir, lorsqu’il y a peut-être la moitié de notre planète qui n’a pas encore été suffisamment explorée? On aurait pu tout aussi bien faire la même prédiction avant 1848. Qu’était-ce, en effet, que la Californie et l’Australie, comme étendue, à côté de tous les points du monde qui sont encore inconnus? Cependant, 15 milliards d’or ont été extraits de ces deux contrées, relativement petites. Qui peut savoir ce que l’on trouvera dans les terres nouvelles de la mer du Sud et dans l’intérieur de l’Afrique, qui s’ouvre à peine à nos recherches? Ce qui est probable, c’est que les mines fourniront longtemps encore assez d’or pour nos besoins. Nous disions tout à l’heure que personne ne s’était inquiété de la prédiction de M. Gladstone; d’abord, parce qu’on n’y croyait pas, et on pensait ensuite que, si elle devait se réaliser, on aurait auparavant trouvé un autre agent plus économique et peut-être plus efficace que le charbon. On ne peut pas faire, nous le reconnaissons, le même raisonnement pour l’or. Ce métal a bien aussi ses suppléans; les billets de banque, les chèques, les viremens n’ont pas d’autre but que de le remplacer. Mais à la différence du charbon, qui peut un jour manquer tout à fait et être remplacé par un autre agent aussi efficace, l’or ne peut pas disparaître complètement de la circulation. C’est un instrument d’échange indispensable; il devra toujours être la base de nos transactions.

Et, si on ne peut pas le remplacer, on peut au moins singulièrement l’économiser. De l’aveu de tous les gens compétens qui se sont occupés de la question, et le dernier ministre des finances le déclarait lui-même naguère à la tribune parlementaire, il y a encore aujourd’hui en France au moins pour 5 milliards d’or, sans compter 2 milliards 1/2 d’argent. C’est là évidemment un stock qui dépasse de beaucoup nos besoins. Les États-Unis et l’Angleterre font plus d’affaires que nous avec 3 milliards ou 3 milliards 1/2 de métaux précieux. Cela tient à ce qu’il y a dans chacun de ces pays des établissemens dits clearing-house, où l’on liquide chaque année pour plus de 150 milliards d’opérations, sans pour ainsi dire faire intervenir le numéraire. Le besoin de métaux précieux n’y est pas du tout en rapport exact avec le développement des affaires : celles-ci augmentent, par exemple, dans la proportion de 50 ou de 100 pour 100, et si l’on ajoute 5 ou 10 pour 100 au plus à la circulation métallique, cela suffit. La moyenne du numéraire par tête aux États-Unis, en y comprenant l’argent, est de moins de 80 francs, elle est à peu près du même chiffre en Angleterre. En France, si l’on réunit les deux métaux, elle atteint presque