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que les pièces d’or aient disparu de la circulation et qu’on ne les trouve plus que chez les changeurs, moyennant une prime. — Et au préjudice d’e qui se ferait cette substitution d’un métal à l’autre ? À celui de la France particulièrement, qui est le mieux pourvue d’or et le plus en état d’en fournir à ceux qui en auraient besoin. On profiterait de l’accord universel pour nous l’enlever et le tour serait joué, comme disait Ledru-Rollin à propos des révolutions, qu’on prépare sans l’annoncer. — C’est bien pour cela qu’on nous pressait tant d’adhérer à la conférence, et le choix qu’on a fait de notre capitale, pour délibérer à nouveau sur la question et de notre ministre des finances pour présider les réunions n’était peut-être pas très désintéressé.

Il semble du reste que dans cette conférence, où étaient cependant des hommes distingués et connaissant bien la matière, on ait pris plaisir à tourner le dos aux faits, comme si on ne voulait pas s’éclairer. Ainsi, pour montrer la stabilité de valeur relative qui pouvait exister entre les deux métaux précieux, on a mis en avant le fameux rapport de 15 l/2 à 1, comme étant celui qui l’exprime le mieux, et on a laissé supposer, on a même dit qu’il n’y avait pas eu d’infraction à cette règle depuis le commencement du siècle jusqu’à ces dernières années ; cependant chacun sait que ce rapport de 15 1/2 n’a jamais existé en fait. La valeur réelle de l’argent a toujours été au-dessous ou au-dessus. Quand elle était au-dessous, c’était l’argent seul qui était en circulation, et quand elle était au-dessus, ce qui a été rare dans la période antérieure à 1848, l’or prenait sa place. On est encore plus étonné d’entendre vanter cette stabilité lorsqu’on sait qu’avant d’arriver au rapport de 15 1/2, on a traversé des époques où il était seulement de 1 à 10, 11 et 12. Et pourquoi l’or a-t-il pris sans cesse plus de valeur relative ? On dira que c’est à cause de l’immense production d’argent qui a suivi la découverte de l’Amérique. Nous voulons l’admettre et supposer même que la cause a duré jusqu’au commencement de ce siècle ; mais depuis, les mines d’argent ont été moins abondantes et les mines d’or le sont devenues davantage. Le rapport aurait dû tourner au profit de l’argent ; il a continué, au contraire, à être de plus en plus favorable à l’or ; en 1848, la pièce de 20 francs qui n’était pas dans la circulation se négociait avec une prime de 1 pour 100.

Mais ce qui est beaucoup plus fort et ce qui aurait dû faire réfléchir sérieusement les partisans du double étalon, s’il n’y avait pas eu de parti-pris, c’est le changement qui s’est opéré dans la production des deux métaux depuis 1848 ; celle de l’or a été, pendant vingt ans, trois ou quatre fois supérieure en valeur à celle de l’argent et depuis dix ans elle dépasse encore de moitié celle du métal concurrent. En vertu de la loi qui fixe le rapport de valeur d’après la plus ou