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Son existence s’était écoulée à prendre, à perdre, et à reprendre une couronne et, chemin faisant, à choisir et à quitter des maîtresses de toute sorte et de toute condition. Après avoir débuté comme un héros de roman, il avait fini comme un pacha dans son sérail.

Mais le fils n’héritait ni des vices ni des qualités du père. Las du spectacle d’agitation et de désordre qui avait troublé sa jeunesse, il s’était réfugié de bonne heure dans une dévotion mal entendue qui ne fortifiait pas son naturel craintif. Il ne songeait qu’à assurer au meilleur marché possible, avec son repos en ce monde, son salut dans l’autre, et pour être plus sûr de ne pas manquer son but, il avait confié un de ces soins à un jésuite italien, le père Guarini, et l’autre à un ministre protestant, le comte de Brühl. Il ne prenait de résolution qu’avec le conseil du moine et n’en exécutait aucune sans le concours du favori. Les deux directeurs ayant le bon esprit de marcher d’accord, il restait libre de se livrer à ses goûts naturels, l’exercice de la chasse et la recherche de ces magnifiques objets d’art dont le musée de Dresde lui doit l’inappréciable collection.

Deux sujets de souci troublaient pourtant ses veilles, l’humeur farouche de ses sujets de Pologne et l’ambition remuante de ses voisins de Prusse. Depuis surtout que le trône était occupé à Berlin par un jeune prince qui mettait tout en rumeur, ses alarmes de ce côté ne lui laissaient plus de relâche. Vainement Frédéric, avant même d’entrer en Silésie, lui avait-il proposé de s’associer à son entreprise avec promesse d’en partager les bénéfices. Ces avances ne lui semblaient qu’une preuve de perfidie. Il était convaincu (et il n’avait pas absolument tort) que le fourbe ne songeait qu’à le brouiller avec l’Autriche et à créer ainsi un péril de plus pour Marie-Thérèse, afin de faire capituler la princesse à meilleure condition, sauf à se retourner ensuite contre ceux qu’il aurait compromis. Quant à la reine sa femme, à qui il portait avec une fidélité inviolable toute l’affection dont une âme égoïste est susceptible, c’était une fille d’Autriche, très émue naturellement de toute injure faite à sa race. Peut-être, à la rigueur, si on lui eût offert à elle-même de se considérer, à défaut d’héritier mâle, comme la tête de la maison et à ce titre de prendre la place de sa cousine, eût-elle prêté l’oreille à l’ouverture. Mais la proposition de faire la même substitution au profit de sa sœur cadette, l’électrice de Bavière, ne pouvait (Belle-Isle le savait d’avance) compter sur son agrément. Informés de ces dispositions, les ministres étrangers, autrichiens, anglais et russes, ne négligeaient rien pour les entretenir et surtout pour les confirmer par des engagemens positifs. On ne proposait pas à ce moment à Auguste III moins de deux traités à signer, l’un avec l’Autriche, assez semblable à celui qui était offert à l’électeur de Cologne, l’autre où seraient entrées la Russie et l’Angleterre et qui aurait fait