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faisait valoir. « Ces engagemens pris pour l’exercice d’un droit souverain sont certainement illicites, disait-il. Ne pourrait-on pas faire faire une consultation par d’habiles docteurs pour en prouver la nullité et leur donner l’épithète qu’ils méritent?.. Cette consultation pourrait être très utile pour franchir les scrupules de l’électeur de Mayence, feints ou réels, et ceux de l’électeur de Trêves, que je crois plus sincères, en leur faisant faire de sérieuses réflexions. »

Rien n’allait mieux aux allures d’esprit du cardinal que cette double opération mi-partie pécuniaire et mi-partie théologique ; aussi s’empressa-t-il de faire répondre : « Le roi a voulu lire lui-même d’un bout à l’autre la dépêche par laquelle vous rendez compte de la longue conversation que vous avez eue avec le neveu et dans laquelle vous avez épuisé la matière. Il a paru n’y être pas insensible et je ne désespère pas qu’à votre retour, vous ne le trouviez disposé à vous donner sa promesse par écrit. Au surplus, vous avez pris une précaution très nécessaire en lui disant que vous lui donneriez un démenti en forme s’il osait révéler ce que vous lui aviez confié. Je vais faire travailler à la consultation pour prouver la nullité des engagemens que quelques électeurs ont pris avec le feu empereur, et votre idée à cet égard me paraît d’autant meilleure que les principes sur cette matière sont faciles à établir et que la cour de Vienne n’oserait les contester. Quand cette consultation sera faite, Son Éminence examinera sous quelle forme on devra la présenter au public, l’avis des docteurs français ne pouvant être que suspect en pareille matière[1]. »

De Mayence, Belle-Isle, ayant soin d’éviter Munich, de crainte de trahir trop ouvertement ses préférences, se rendit en droiture à Dresde. Là, enfin, quittant avec lui le territoire ecclésiastique, il semble que nous devrions en avoir fini avec ce mélange de religion apparente et de corruption frivole, avec ces intrigues de sacristie et d’antichambre qui ne répugnent à personne plus qu’à des lecteurs chrétiens de nos jours. Effectivement, le changement d’atmosphère eût été brusque si Auguste III, électeur de Saxe et roi de Pologne, eût ressemblé même de loin à son père Frédéric-Auguste, qui l’avait précédé dans cette double souveraineté. Celui-là, le rival parfois heureux de Charles XII, était (tous les lecteurs de Voltaire le savent) un aventurier de grande race qui ne se piquait pas plus de constance en religion que de fidélité en amour ou en politique. « Il était, dit le spirituel historien Lemontey, luthérien de naissance, catholique par ambition, et musulman par ses mœurs. »

  1. Amelot à Belle-Isle, 18 avril 1741. (Correspondance de l’ambassade à la diète. Ministère des affaires étrangères.)