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pommes de terre, de ses fruits, des jeunes filles esclaves de sa tribu en échange de poudre, de couvertures, de tabac et de divers ustensiles. Certes, il se trouve lésé dans ses intérêts; sa conduite indique aussi néanmoins qu’il est blessé dans ses sentimens patriotiques.

Heki n’a point de tatouage; sa physionomie dénote l’intelligence, son regard présente les signes de l’exaltation[1]. Entre tous les Néo-Zélandais un des premiers convertis au christianisme, il a fait l’orgueil des missionnaires par ses succès dans l’interprétation de la doctrine. Jusqu’à l’année 1840, cet homme, mari d’une fille de Hongi, est cité par les pasteurs évangéliques comme un modèle. Après la prise de possession, au nom de la reine d’Angleterre, Heki se persuade que le gouvernement britannique veut réduire en esclavage les Maoris; on l’entend exhaler des plaintes, on le voit chercher par ses discours à inspirer l’horreur des étrangers à ses compatriotes qu’il rassemble sous différens prétextes. Montrant le drapeau flottant sur les hauteurs qui dominent Kororarika, il affirme que c’est le symbole de l’asservissement du peuple de la Nouvelle-Zélande. — Le 8 juillet 1843, il renverse le pavillon. Le gouverneur appelle des soldats de Sidney. Avant toute action, il a une entrevue avec Heki et d’autres chefs ; deux des principaux assurent, que, si les soldats sont renvoyés, ils maintiendront la paix, qu’ils se joindront aux Anglais si Heki tente de troubler la tranquillité. Le capitaine Fitzroy juge prudent d’accéder aux demandes des Maoris : — la troupe est réembarquée, la douane est supprimée, les ports de la Nouvelle-Zélande sont déclarés libres. Impardonnable faiblesse du gouverneur, crient les uns, qui enhardira le rebelle; faute énorme, la douane rapportait à la colonie les neuf-dixièmes de son revenu. — Grande sagesse, prétendent les autres, par les concessions l’alliance de certains chefs a été gagnée ; on lui doit le succès définitif.

Le repos fut de courte durée. Heki, exaspéré contre l’occupation anglaise, abat de nouveau le pavillon britannique. Un autre drapeau est hissé ; on le protège cette fois par un fort garni de canons et pourvu d’une petite garnison. Plusieurs centaines d’insulaires que commandent Heki et son lieutenant Rawiti menacent Kororarika. En prévision d’une attaque, le capitaine du navire de guerre en station envoie un officier à la tête d’une troupe afin de protéger la ville. Le 10 mai 1844, dans la soirée, Heki, avec environ deux cents hommes, parvient à se poster en embuscade près du fort, tandis que vers la ville s’avance Kawiti, disposant d’une égale force. Le lendemain, dès l’aube, la fusillade s’engage; des matelots anglais sont tués, d’autres blessés, l’officier qui les dirige est lui-même grièvement atteint. Kawiti reste maître du terrain. Heki s’empare

  1. Nous avons sous les yeux une photographie de Heki.