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un Anglais prétendre avoir obtenu d’un chef, au prix de quelques barriques d’eau-de-vie et d’un paquet de tabac, toute la côte depuis le port d’Otago jusqu’au détroit de Foveaux, — la longueur d’une quarantaine de lieues. Il ne faudra point s’étonner si, dans l’avenir, plus d’un propriétaire, au fond de sa conscience impure, éprouve la crainte d’être dépossédé de l’endroit où il a bâti sa maison.

Les premiers accapareurs du sol ne songeaient guère, la plupart, à le défricher et à le cultiver. Il existait un moyen de s’enrichir plus prompt et plus facile. Le flot des immigrans grossissait chaque jour; à ceux qui arrivaient un peu pourvus de numéraire les maîtres d’un territoire ou d’un champ enlevé aux aborigènes cédaient des morceaux de la propriété. Revendus quelques mois ou quelques semaines plus tard, le bénéfice était énorme. Alors, de la Nouvelle-Galles du Sud et de la Tasmanie accoururent des gens avides dont toute préoccupation se bornait à l’idée d’acheter une terre à prix modique et d’en obtenir à bref délai une très grosse somme d’argent. A l’estuaire de Houraki, surtout à la baie des Iles, aux environs de Kororarika, où l’on s’attendait à voir bâtir une grande ville, des parcelles de terre, passant de mains en mains, atteignirent des prix exorbitans. Nulle part ailleurs, peut-être, la fièvre de la spéculation n’avait sévi avec une égale intensité. Les agioteurs profitaient d’une confiance exagérée dans l’avenir et l’exploitaient avec rage.

En Angleterre, on s’était ému parfois au récit des actes de déloyauté ou de violence commis par les Européens envers les prétendus sauvages. Les philanthropes prenaient en mains la cause des aborigènes. Au sein de la chambre des communes, dans le cours de l’année 1836, un comité spécial trace de l’état d’anarchie de la Nouvelle-Zélande un tableau assez sombre pour causer dans le public une vive impression. Une commission instituée au sujet des résultats déplorables de l’établissement d’Européens qui échappent à toute autorité réunit des informations sur les territoires inoccupés où il serait facile d’installer des colonies. Un mouvement se dessine; quelques personnes songent à en tirer parti. En 1837, se forme à Londres une association[1] en vue d’amener le gouvernement de la Grande-Bretagne à faire régner la loi sur les îles qui composent la Nouvelle-Zélande et à permettre de coloniser le pays d’après une méthode qui, on l’assure, offrirait tous les avantages imaginables pour les indigènes et pour les émigrans. L’auteur du projet est M. Edward-Gibbon Wakefield. On ne place aucune confiance soit dans l’activité, soit dans les dispositions du Colonial Office ; voulant obtenir ou une sanction ou un encouragement du pouvoir exécutif, c’est au premier ministre, lord Melbourne, qu’on s’adresse.

  1. New-Zealand Association.