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les colons anglais et les pasteurs évangéliques jettent d’éclats de rire et manifestent d’allégresse[1]. Au milieu de gens à son égard animés de sentimens hostiles et dans une situation désolante, le baron de Thierry, plein d’un orgueil qui le couvre de ridicule, mais aussi plein de cette ténacité qui conduit parfois à de grandes choses, bravant l’infortune, garde des illusions et ne perd point tout espoir. Plusieurs années encore on le verra se répandre en lamentations et en objurgations[2].

Depuis quelque temps, les missionnaires catholiques se disséminaient dans les archipels de l’Océanie. Le 10 janvier 1838, un vicaire apostolique. Mgr de Pompalier, évêque de Maronée, débarque à Hokianga. Il y rencontre des colons catholiques du royaume de la Grande-Bretagne, des tribus gagnées au protestantisme, l’immense majorité de la population indifférente à tous les cultes[3]. Ancien grand-vicaire du diocèse de Lyon, ecclésiastique jeune encore, de manières distinguées, M. de Pompalier, possédant une haute instruction et des mérites incontestables, imposait par la dignité du caractère et par la noblesse du maintien[4]. Il ne manquera jamais d’être secourable à ceux qui viendront, puissans ou déshérités du sort, aborder aux rives de la Nouvelle-Zélande. Ses qualités personnelles, son aménité, ne tardent pas à lui concilier l’affection des Maoris qu’il se plaît à visiter. A Hokianga, à la baie des Iles, on appréhende bientôt les succès de la mission catholique. Un bon Anglais, touché par la crainte, déclare en gémissant et en excitant ses compatriotes à l’action, qu’il regarderait comme la plus sérieuse calamité pour l’hémisphère austral l’influence paralysante de la religion catholique. A l’arrivée de M. de Pompalier, le baron de Thierry était accouru entretenir l’évêque de ses malheurs. A les voir ensemble, les pasteurs évangéliques voulaient croire qu’ils s’entendaient pour établir sur le pays la domination française.

Les missionnaires protestans avaient eu tout de suite l’excellente inspiration pour eux d’acheter des terres aux aborigènes. Les idées de propriétés particulières, d’aliénation perpétuelle, n’entraient guère, semble-t-il, dans l’esprit des Néo-Zélandais. Qu’importe! on offrait aux chefs quelques haches, un paquet de clous, un peu de poudre à canon, un mousquet délabré ; pour la possession de tels objets, de larges superficies de terrain étaient livrées. Un acte

  1. Ainsi parle le révérend Richard Taylor, auteur d’importans ouvrages sur la Nouvelle-Zélande, à qui les sentimens de charité et d’impartialité font absolument défaut.
  2. Il mourut à Auckland, le 8 juillet 1864.
  3. Annales de la propagation de la foi.
  4. Le portrait de l’évêque catholique tracé par certains auteurs anglais est au moins aussi flatteur que celui qui a été esquissé par plusieurs de ses compatriotes. — Voir Dunmore Lang, New-Zealand in 1839.