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de vaisseaux, parce que ces eaux sont alors réputées conquises et que d’autres bâtimens ne peuvent s’y placer sans s’exposer à être repoussés par la force. Mais les faits avaient parlé plus haut, et l’expérience était concluante. On savait que l’ancienne pratique internationale pouvait conduire à tous les excès parce qu’elle ne reposait sur aucun fondement et qu’il dépendait du caprice d’un peuple d’en élargir indéfiniment les effets. L’Angleterre ne put refuser de laisser inscrire cette règle dans la déclaration de 1856 : « Les blocus ne sont obligatoires qu’autant qu’ils sont effectifs. »

Cette concession lui coûta, sans nul doute, et l’on s’en aperçut en 1862, pendant la guerre de sécession, lorsque les États-Unis, n’ayant pas adhéré à la déclaration, crurent pouvoir bloquer les ports de Galveston et de Charleston avec des forces insuffisantes, de façon à laisser passer quatre navires sur cinq. M. Lindsay ayant, à la chambre des communes, fait ressortir l’inefficacité des mesures prises par la marine fédérale, le solicitor general répondit : « Du moment où le belligérant fait tout ce qu’il peut ou croit utile pour réaliser son opération, les neutres doivent reconnaître et respecter le blocus : la déclaration de Paris n’a pas innové en cette matière, » et lord Russell tint un langage analogue à la chambre haute. C’est un hardi paradoxe que de nier l’innovation de 1856 ; mais il ne faut pas s’exagérer la portée de ces discours. Lorsqu’il s’agira de savoir si tel blocus est effectif ou ne l’est pas, l’Angleterre admettra difficilement qu’on ait violé la règle moderne ; mais c’est déjà beaucoup qu’elle ne la conteste pas, et nul n’oserait aujourd’hui recourir aux désastreux expédiens de 1806. Par exemple, les gouvernemens russe et turc déclarèrent expressément, en 1877, adopter cette règle, et la Russie, ayant contesté qu’un blocus eût été maintenu dans la Mer-Noire par une force ottomane suffisante, exigea de la Porte, par le traité du 19 février 1878, le solennel engagement de ne plus établir dorénavant «: devant les ports de la Mer-Noire et de la mer d’Azof de blocus fictif qui s’écarterait de l’esprit de la déclaration signée à Paris le 15 avril 1856. » Il est désormais impossible de heurter directement la loi nouvelle ; il deviendra de jour en jour plus difficile de la tourner.

Le congrès de Paris promulgua cette troisième règle internationale : « Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre. » En effet, le commerce des neutres, naturellement libre, n’est limité que par le devoir issu de la neutralité. Ils ne peuvent s’adonner à un commerce hostile ou partial qui constituerait une participation indirecte à la guerre, mais ils restent à l’abri de toute atteinte quand ils transportent les huiles ou les savons d’un des deux belligérans. En vain l’autre croit-il avoir le droit de saisir cette propriété privée partout où il la