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années du XVIIe siècle que les puissances maritimes de second ordre commencèrent à perdre patience et cherchèrent les moyens de remédier à ce ruineux abus de la force. La Hollande elle-même, dans un traité qu’elle conclut en 1753 avec le royaume des Deux-Siciles, renonça aux blocus fictifs. Mais le gouvernement anglais s’attacha de plus en plus obstinément au système qu’il pratiquait depuis quatre siècles, et sa cour d’amirauté jugeait expressément en 1780 que « la Grande-Bretagne, par sa position insulaire, bloque naturellement tous les ports de l’Espagne et de la France. » C’est alors que se forma la première ligue de neutralité armée. Mais l’Angleterre ne tint pas le moindre compte de cette résistance; non-seulement elle déclarait en 1793, par la bouche de Pitt, que la France devait être « détachée du monde commercial et traitée comme si elle n’avait qu’une seule ville, qu’un seul port, et si cette place était bloquée et affamée par terre et par mer ; » mais elle étendit en 1798 le blocus fictif des côtes françaises à tous les ports et à toutes les embouchures de rivières de la Belgique. De là sortit la seconde ligue de neutralité armée, qui n’aboutit qu’à une convention sans portée (17 juin 1801) entre l’Angleterre et la Russie. Le 16 mai 1806, un ordre du conseil britannique déclara bloqués tous les ports, toutes les côtes, toutes les rivières depuis l’Elbe jusqu’à Brest. Alors parut le fameux décret de Berlin (21 novembre 1806). dont le préambule accusait l’Angleterre d’empêcher, par un « monstrueux abus du droit de blocus, les communications entre les peuples» et par lequel Napoléon déclarait les îles britanniques bloquées à titre de représailles. Plusieurs ordres du conseil se succédèrent presque aussitôt pour étendre le blocus d’abord à tous les ports de la France et de ses colonies, ensuite, dans le monde entier, à tous ceux dont le pavillon britannique serait exclu. L’empereur ne se rebuta pas et, par le décret de Milan (17 décembre 1807), non-seulement maintint les îles britanniques en état de blocus « sur mer comme sur terre, » mais permit de courir sus à tout bâtiment qui aurait souffert la visite d’un vaisseau anglais, ou se serait soumis à un voyage en Angleterre, ou aurait payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, ordonnant qu’il fût, par cela seul, dénationalisé.

Ainsi fut condamnée, dans l’opinion de tous les peuples, la théorie des blocus fictifs. L’abus était devenu si grand, qu’il ne pouvait plus subsister. Il était clair que deux belligérans, si puissans qu’ils fussent, n’avaient pas le droit, sous prétexte de s’appauvrir l’un l’autre, de ruiner tout le monde. Les publicistes eussent peut-être perdu leur temps en se bornant à démontrer in abstracto que, si le blocus est légitime, c’est quand une partie de la mer peut être occupée momentanément par un certain nombre