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certain nombre d’idées que beaucoup de cabinets regardaient encore comme de pures chimères. L’Europe s’assemble, s’approprie ces prétendues chimères, les condense dans un code de quatre lignes au bas duquel elle appose sa signature, et ce code, malgré certains tâtonnemens et certaines velléités de résistance, est à peu près universellement appliqué.

D’abord la course est abolie, ce qui veut dire que la guerre ne sera plus faite sur mer aux sujets inoffensifs de l’ennemi avec des forces particulières, mais seulement avec les forces publiques du belligérant.

C’était, de toutes les réformes, la plus difficile à obtenir. Vattel, Klüber lui-même, ne semblent pas imaginer seulement que la légitimité des armemens en course puisse être débattue. Lorsque notre assemblée législative avait invité, le 30 mai 1792, le pouvoir exécutif à en négocier la suppression, le gouvernement français n’avait recueilli que l’adhésion des villes hanséatiques. De nouvelles tentatives faites en 1823, en 1826, etc., avaient piteusement échoué. On croyait que, pour terminer plus promptement la guerre, il fallait nuire le plus possible au commerce des ennemis et que, pour le ruiner plus sûrement, il était naturel d’exalter la haine ou la cupidité des particuliers en les autorisant à courir sus aux navires marchands. Or, outre que le droit de faire la guerre ne peut pas passer du souverain au sujet, même avec le consentement du souverain, il n’est pas du tout nécessaire, on le sait aujourd’hui, de faire écumer les mers par des forbans commissionnés pour arriver plus vite au terme des hostilités. Telles sont d’ailleurs la multiplicité des rapports et la solidarité des intérêts commerciaux qu’un peuple commerçant, en poursuivant à outrance la ruine de son voisin, risque de s’appauvrir lui-même. La suppression de la course était donc une conquête du droit sur la force et un grand bienfait. Cependant l’Espagne et le Mexique répondirent que, tout en s’appropriant les autres principes adoptés par le congrès, ils ne pouvaient adhérer à la déclaration de 1856 « à cause du premier point qui concerne l’abolition de la course. » Les États-Unis acceptaient de même les autres principes, mais subordonnaient l’abandon des armemens en course à la suppression simultanée du droit de capture des navires marchands même par des vaisseaux de guerre : l’Angleterre repoussa cette adhésion conditionnelle et scindée. En 1860, dans une assemblée de philosophes, de jurisconsultes, d’économistes (j’ai nommé notre Académie des sciences morales), la course eut encore, qui le croirait? d’impétueux défenseurs. M. Franck, l’ayant, dans une étude sur Selden, très exactement qualifiée « un brigandage organisé, » M. Giraud soutint qu’elle était, au contraire, une forme légitime de la guerre maritime, la ressource des faibles contre les forts; que