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chefs. Voilà sans doute un des points sur lesquels, comme on le disait jadis à Heidelberg, aucun état de l’Europe ne peut rester en deçà des États-Unis sans qu’ils l’accusent « de ne pas demeurer au niveau des progrès faits par le droit international de l’humanité civilisée. »

Si le pillage est interdit, comment ne serait-il pas défendu d’enlever sans réquisition les objets appartenant à l’ennemi ? L’enlèvement sans réquisition n’est, au demeurant, qu’une variété du pillage lui-même. Il faut assurément reconnaître avec Bluntschli que le soldat est « excusable, » quand on le laisse mourir de faim ou de froid, de s’approprier, même par la force, des vivres ou des vêtemens. Mais ce n’est pas même une exception à la règle, qui ne comporte pas d’exceptions, puisqu’il ne s’agit là que d’excuser un acte de violence accompli sous l’empire d’une inexorable nécessité. Le professeur d’Heidelberg, en même temps qu’il reproche aux journaux français d’avoir injustement dépeint les soldats allemands comme des voleurs de pendules, a tort d’ajouter que les chefs eux-mêmes sont, à la longue, « obligés » de fermer les yeux sur certains actes sévèrement réprimés au début de la guerre. Ce n’est pas à la science du droit international qu’il convient de tenir ce langage, car elle doit s’efforcer de persuader aux belligérans que ce qui est illicite au début des hostilités ne cesse jamais d’être illicite. D’après un rapport du ministre de l’intérieur au président de la république française, le montant des titres, meubles et autres objets enlevés sans réquisition pendant la guerre franco-allemande s’élevait à 264 millions. Si les chefs de l’armée prussienne n’ont pu prévenir, au cours de si vastes opérations, ces nombreuses atteintes à la propriété privée, c’est un malheur ; mais s’ils ont pu se croire « obligés » de les tolérer à un moment quelconque, c’est une faute.

« Si le propriétaire n’est pas en fuite, disent les Instructions américaines, l’officier commandant lui fera délivrer un reçu qui puisse lui servir à obtenir une indemnité. » C’est condamner, en principe, le système des réquisitions gratuites. Est-ce qu’il peut suffire, en effet, d’organiser la spoliation pour la légitimer ? Mais l’Amérique avance ici sur l’Europe. Non-seulement la pratique moderne est sur ce point, en-deçà de l’Atlantique, généralement contraire aux véritables maximes du droit, mais la question est, presque toujours, mal posée et timidement résolue par les jurisconsultes. Encore écartons-nous sans discussion la thèse de Klüber, reprise en 1870 par un rédacteur de la Revue du droit international, d’après laquelle les exactions d’une armée victorieuse devraient être regardées comme le rachat du droit au pillage. Mais comment Bluntschli a-t-il pu ériger en règle la proposition suivante : « L’armée qui occupe le territoire ennemi a le droit d’exiger que les habitans contribuent gratuitement