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l’importance. L’auteur des Instructions américaines, d’ailleurs beaucoup moins précis, n’a donc fait qu’élargir une voie déjà frayée en déclarant que le prisonnier de guerre n’est pas un ennemi public; que, si on l’interne ou on l’emprisonne, c’est uniquement pour empêcher son évasion ; qu’on lui doit, s’il est blessé, tous les soins compatibles avec le service médical, etc.[1]. Il est impossible que le belligérant dont les soldats sont ainsi traités réponde au bien par le mal et que ces actes, quoique paraissant n’engager que leur auteur, ne finissent pas aussi par engager ceux qui en profitent. Ces nouvelles maximes internationales s’imposent à tous les peuples et, quoique le général Vogel de Falkenstein les ait, à coup sûr, ouvertement méconnues en 1871[2], il faut reconnaître qu’on les a, dans la guerre franco-allemande, assez fidèlement observées.

Les Allemands, au contraire, violèrent alors les lois qui règlent depuis longtemps dans les pays civilisés le sort des otages. Ils n’ont pas sans doute directement enfreint ce privilège, reconnu par un Scipion dans une guerre punique, qui défend de les mettre à mort pour venger l’inexécution d’un arrangement entre belligérans. Mais comme nos paysans, en certains endroits, enlevaient les rails ou cherchaient à empêcher la circulation sur les voies ferrées, ils obligèrent plusieurs fois les notables des provinces occupées à monter sur les locomotives des trains qui transportaient leurs soldats, de manière à faire comprendre que tout accident causé par l’hostilité d’un Français atteindrait avant tout des Français. Par exemple, les notables de Nancy accompagnaient ces trains jusqu’à Toul, ceux de Toul jusqu’à Commercy, ceux de Commercy jusqu’à Bar-le-Duc, etc., et les publicistes étrangers attestent que ce « service » fut organisé « avec une sévérité inouïe, pour ne pas dire plus. » Ce ne sont pas seulement nos jurisconsultes qui dénoncèrent ces procédés de « blindage humain. » Calvo, que rien n’oblige à prendre parti pour la France, les a flétris avec une énergie singulière. Bien plus, on les a blâmés à Heidelberg! Bluntschli remarque que cette pratique compromettait la vie de gens innocens sans procurer un sérieux accroissement de sécurité, « les fanatiques auteurs de ces attentats tenant peu de compte de la vie de notables qui étaient parfois pour eux un objet de haine. » Il est bon de constater cette unanimité des publicistes pour établir que si, dans une circonstance, la force a

  1. Toutefois, tandis que le règlement de 1859 punit la tentative d’évasion d’un mois de cachot suivi d’un emprisonnement aussi long que le jugera bon le ministre de la guerre, les Instructions américaines défendent de punir l’évadé, s’il est repris, parce que la tentative d’évasion n’est pas un crime d’après les lois de la guerre.
  2. En prescrivant des représailles contre dix prisonniers à chaque évasion d’un prisonnier français.