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du corps diplomatique protestèrent. « En réservant aux gouvernemens de.., leur répondit M. de Bismarck, l’initiative d’un examen plus approfondi de la question théorique, je me borne à maintenir que la dénonciation préalable d’un bombardement n’est point exigée d’après les principes du droit des gens. » Un examen plus approfondi n’était pas nécessaire et la protestation du corps diplomatique était fondée, la surprise n’étant pas, à coup sûr, commandée cette fois par la nécessité. Ce fut une autre violation du droit des gens que de diriger le feu sur les édifices publics et sur les maisons particulières, à plus forte raison de canonner des villes ouvertes. On se rappelle l’éloquente protestation par laquelle l’Institut de France signala, le 18 septembre 1870, ces inutiles excès « au monde civilisé, à la justice de l’histoire, à la réprobation de la postérité. » De tels abus de la force ne sauraient modifier la règle internationale. Plus ils sont avérés, plus il importe de les dénoncer à l’Europe, et de montrer où est la vérité. Quand on est dix contre un pour condamner certaines pratiques, il y a beaucoup de chances pour que le droit ait son tour.

On ne croyait déjà plus en 1625, nous l’avons vu, que les chrétiens pussent réduire en esclavage leurs coreligionnaires vaincus, et Grotius, après Bodin, reconnaissait même que, par une sorte de privilège, tout esclave, par conséquent l’esclave fait à la guerre, dès qu’il mettait le pied sur le sol français, redevenait libre. Lieber, rédigeant des instructions en vue d’une guerre suscitée par la révolte des états esclavagistes, donne à la question toute son ampleur. Il n’y a plus, à ce point de vue, de catégories dans l’humanité; les États-Unis ne s’arrogent pas le pouvoir de transformer un seul homme, chrétien ou non, en esclave. Bien plus, si, dans une guerre entre les États-Unis et un peuple qui reconnaît l’esclavage, un esclave est pris par les soldats des États-Unis ou vient se placer sous leur protection, il recouvre sur-le-champ et pour toujours les droits de l’homme libre. Vattel admettait encore que, dans tous les cas où l’on est en droit de tuer, on peut réduire en esclavage ; les États-Unis se refusent formellement à réduire qui que ce soit en servitude à titre de représailles; si quelqu’un de leurs ennemis fait un esclave de leurs soldats, c’est un crime contre le droit des gens, qui doit être puni de mort. Aucune partie du problème ne reste donc à résoudre, et la conscience humaine n’a plus rien à réclamer.

Mais comment traiter ces prisonniers de guerre qu’on ne réduit plus en esclavage? Vattel n’a pas, sur ce point, d’idée bien arrêtée. Il commence par proclamer qu’« un grand cœur » ne doit plus sentir que de la compassion pour un ennemi vaincu, et finit par avouer qu’on peut, à la rigueur, dans certains cas exceptionnels, « faire périr de sang-froid un grand nombre de prisonniers. » Comme