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L’article 22 des Instructions est la contre-partie de la doctrine si fortement coordonnée par Grotius au livre m de son traité de Jure belli et pacis. « L’usage a prévalu, dit-il, d’établir une distinction marquée, surtout dans les guerres continentales, entre l’individu appartenant à une nation ennemie et l’ensemble de la nation représentée par ses soldats en armes. C’est un principe de plus en plus généralement reconnu que le citoyen non armé doit être respecté dans sa personne et ses propriétés autant que les exigences de la guerre le réclament. » C’est l’honneur du ministre Stanton et des officiers chargés par lui de réviser le projet de Lieber que de n’avoir pas dédaigné cette sorte d’exposé théorique où l’ancien volontaire de l’armée de Blücher, devenu philosophe, au lieu de se borner à défendre ou à prescrire, more militari, tels ou tels actes, fit appel à la raison des généraux et des soldats. C’est dans le même esprit que sont conçues quelques autres considérations générales ; par exemple quand le règlement déclare que la paix est la condition normale des peuples et que l’objet suprême de toute guerre moderne est l’établissement d’un nouvel état de paix (article 29) ; que la guerre n’implique en général aucun acte d’hostilité de nature à rendre sans nécessité le retour à la paix plus difficile (article 16) ; ou que les hommes, après avoir pris les armes dans une guerre régulière, ne perdent pas le caractère d’êtres moraux, responsables les uns envers les autres et envers Dieu (article 15). Aux yeux de beaucoup de gens, le pouvoir législatif ou réglementaire perd son temps à donner de semblables conseils. Mais on ne saurait accuser les Américains de méconnaître le prix du temps, et rien ne vaut, à mon avis, cet exemple et cette leçon donnés par les gens les plus « pratiques » de la terre.

L’auteur des Instructions, on le croira sans peine, ne s’attarde pas dans le domaine de la spéculation pure. Après avoir énoncé des principes, il les applique. On ignore assez généralement que les publicistes du XVIIe siècle se demandaient sérieusement si le droit des gens permet de faire assassiner un ennemi. Grotius voulait bien distinguer deux sortes d’assassins : les uns, qui trahissent leurs engagemens, comme des sujets par rapport à leur maître, des vassaux par rapport à leur seigneur ; les autres, qui ne les trahissent pas, comme Pépin, père de Charlemagne, lequel, « ayant passé le Rhin avec un seul garde, alla tuer son ennemi dans sa chambre ; » et ces derniers ne lui paraissaient pas violer le droit des gens ! Voici la formule du droit moderne : « Les nécessités militaires autorisent la destruction des ennemis armés et de toute personne dont la destruction est incidemment inévitable dans les rencontres à main armée » (article 15). « Les simples citoyens ne sont plus mis à mort » (article 23). Vattel, à vrai dire, avait déjà fait