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des lois. Le Mare liberum de Grotius, qui révolta si fort le gouvernement anglais et provoqua jusqu’à la fin du XVIIe siècle une polémique si vive, fut la première arme des faibles contre l’usurpation des forts, leur premier titre à l’affranchissement des mers et comme la grande charte des peuples navigateurs.

Puisque nous savons où chercher le droit international et ses développemens progressifs, nous pouvons examiner quels sont au juste, depuis cinquante ans, soit dans les guerres continentales, soit dans les guerres maritimes, les progrès accomplis.


I.

C’est une maxime admise aujourd’hui par tous les peuples civilisés que la guerre a lieu entre les états, non entre les particuliers. Pour comprendre exactement quel a été, dans cet ordre d’idées, le développement progressif du droit international, on n’a pas même besoin de rappeler à quels excès les belligérans croyaient encore pouvoir se livrer pendant la guerre de Trente ans; il suffit d’ouvrir le fameux traité de Grotius sur le droit de la guerre et de la paix, qui fut l’oracle du XVIIe siècle, et qu’on édita quarante-cinq fois de 1625 à 1758 : « La licence de faire du mal à un ennemi, dit le publiciste hollandais, regarde premièrement les personnes. Il y a là-dessus quantité de témoignages de bons auteurs. Le sang d’un ennemi ne souille point celui qui le tue, c’est un mot d’Euripide, qui avait passé en proverbe parmi les Grecs... Cette licence s’étend bien loin... Car, quand on déclare la guerre à un peuple, on la déclare en même temps à tous ceux de ce peuple. Nous pouvons donc tuer impunément les sujets de l’ennemi et sur nos propres terres, et sur les siennes, et sur une terre qui n’appartient à personne, et sur mer... Une preuve, au reste, que la licence de la guerre s’étend fort loin, c’est que le droit des gens n’en met point à couvert les enfans et les femmes, que l’on peut tuer impunément[1]. » Il fallait citer ce morceau, qu’une analyse eût affadi. Telle était, aux yeux de ce jurisconsulte philosophe, non pas seulement la tradition, mais la règle stricte.

Franchissons un peu plus d’un siècle. En 1758, parut l’ouvrage de Vattel, qui n’est pas un grand philosophe, mais un honnête homme, sachant traduire en prose agréable et claire les idées de ses contemporains. Celui-ci va enseigner que « la fin légitime ne donne un véritable droit qu’aux seuls moyens nécessaires pour

  1. L. III. c. IV. Il faut, il est vrai, rapprocher de ce chapitre le chapitre XI du même livre, intitulé : « De la modération dont on doit user dans une guerre, même juste, et premièrement à l’égard du droit de tuer les ennemis. »