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col à la Colin ; sur ses longs cheveux flottans, un bonnet de police, et pour fusil, un mousquet à rouet que lui avait prêté un peintre nommé Boissard. Le capitaine bondit d’indignation, et « les camarades » éclatèrent de rire. Gautier fut renvoyé avec sa courte honte; c’est tout ce qu’il demandait. On le laissa tranquille pendant quelque temps ; puis les billets de garde affluèrent chez son portier ; il n’en tint compte et fut obligé de venir me demander asile. L’appartement était grand, j’installai Gautier dans une chambre voisine de celle de Flaubert, et souvent je les entendais, à trois heures, à quatre heures du matin, qui discutaient encore au lieu de dormir.

Au bout d’une quinzaine de jours, Gautier croyant avoir dépisté les recherches de ceux qu’il appelait sérieusement des sbires, retourna chez lui. Le lendemain, il était arrêté, et je recevais un billet de lui : « Je suis aux haricots, viens consoler ma captivité ; apporte-moi une lime et une échelle de corde. » Je courus à l’état-major de la garde nationale, dont le chef était le général Folz, qui me rit au nez, lorsque je le priai de remettre Gautier en liberté, et me laissa comprendre qu’il ne lui déplaisait pas de tenir un poète sous les verrous. Tout ce que je pus obtenir fut une permission pour aller faire visite au prisonnier. Où était située la prison affectée aux gardes nationaux récalcitrans, les haricots, comme l’on disait en langage peu administratif? Je ne sais plus trop ; vers le Jardin des Plantes, il me semble, dans les environs de la gare du chemin de fer d’Orléans. J’y allai; Gautier gémissait et se promenait en maugréant dans une salle bien éclairée qui n’avait rien d’un cachot, ni d’une cellule. Il méditait des vengeances et projetait des barricades. L’idée d’être enfermé, verrouillé la nuit dans sa chambre lui causait un véritable malaise, et ce ne fut pas sans peine qu’il obtint que sa porte ne fût close qu’au loquet. Le directeur disait : « C’est contraire aux règlemens et je m’expose à de graves reproches. » Théophile Gautier, en effet, se sentait pris d’angoisse toutes les fois que, pendant la nuit, il était seul ou trop éloigné pour n’être pas entendu au premier appel. L’obscurité lui était pénible. Il lui semblait qu’à travers l’ombre la mort le guettait et allait le saisir. L’idée de la mort ne le laissait pas tranquille ; ce que l’on devait trouver après la vie l’inquiétait. Il ne souriait d’aucune religion ; à toutes les promesses d’enfer et de paradis, aux menaces de transmigration douloureuse, à la grande prairie des Peaux-Rouges, à la géhenne des juifs, aux tortures infligées par Éblis, il hochait la tête et répondait : « C’est peut-être vrai. » Dans une circonstance solennelle, je lui ai entendu dire : « Je suis un vieux chrétien ! » Ces impressions le hantaient souvent et l’attristaient. Il m’a raconté qu’étant, un jour, couché et endormi à Grenade, dans une des salles de l’Alhambra,