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l’instant le plus touchant, murmurer en grommelant à son voisin : « Il vaudrait mieux se confier au diable qu’à ces gens-là. » Et comme celui à qui on prêtait ce propos vint, à cet instant, à passer, peu s’en fallut que la foule ne lui fît un mauvais parti.

L’insurrection était trop dans les instincts du pays pour que la résolution d’y recourir souffrît des difficultés. On vota donc, séance tenante, une levée de trente mille hommes d’infanterie partagée en treize régimens et, de plus, chaque noble dut s’engager soit à monter à cheval lui-même, soit à fournir un remplaçant. Avec les recrues de Croatie, de Transylvanie, du banat de Temeswar et autres dépendances, on espérait pouvoir atteindre le chiffre de cent mille hommes. Toutes ces résolutions étaient prises avec une facilité et un entraînement tels, la joie d’avoir trouvé un souverain qui n’obéissait pas aux préjugés de Vienne était si générale, que les confidens de Marie-Thérèse crurent le moment propice pour aller au-devant de ses vœux secrets. Ils savaient quel hommage irait plus droit à son cœur que toutes les louanges et même que toutes les offres de concours. Ils insinuèrent discrètement sur les bancs des états que, puisque la reine montrait des préférences pour la Hongrie, il fallait prendre garde de l’eu détourner en négligeant d’assurer à son mari le rang qu’il avait déjà dans les autres états de la monarchie. Étrange mobilité des grandes réunions d’hommes! l’idée que tous auraient repoussée la veille parut subitement un moyen tout trouvé de faire voir à la reine que, si elle ne pouvait rien obtenir par l’intermédiaire d’un cabinet viennois, pour elle-même et pour les siens, on n’avait rien à refuser. La corégence du grand-duc, proposée par le primat lui-même, fut acceptée presque sans résistance ; une seconde fois la diète fut convoquée au château pour recevoir son serment.

On pouvait craindre que cette nouvelle séance royale ne fît un contraste un peu triste avec la première. Les manières contraintes et hautaines du grand-duc n’avaient rien d’engageant, et l’hommage tardif qu’on lui rendait n’avait rien de personnellement flatteur. Mais l’amour a de merveilleux instincts. A peine le serment était-il prêté que, sur un signe de la reine, on amena dans la salle le petit archiduc sur le sein de sa nourrice, et la reine, le prenant dans ses bras, le présenta à l’assemblée avec un geste qui semblait dire qu’elle remettait aux mains fidèles de ses sujets tous les objets de son affection et tout l’espoir de sa race. « L’enfant, dit toujours notre chroniqueur hongrois, montrait dans ses mouvemens une vivacité précoce qui le faisait ressembler à un petit écureuil. » Séduits par les grâces enfantines et touchés de la confiance maternelle, tous les assistans applaudirent et sortirent ravis d’une audience qui loin de refroidir avait ranimé leur zèle.