Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de toutes les forces réunies, et les régimens français joignaient à leurs propres étendards le drapeau qui portait les couleurs bavaroises.

Tel était le système un peu artificiel qui fut développé dans une circulaire adressée, le 7 juillet, à tous les agens français, et dont Fleury fit, de sa propre main, part à l’époux de Marie-Thérèse. Grâce à cette subtilité diplomatique, il pouvait laisser à Vienne un agent accrédité et continuer de recevoir à Versailles le chargé d’affaires de l’Autriche. Cette disposition ne fut pas sans inconvénient, comme on le verra par les prétextes qu’elle fournit aux soupçons de Frédéric ; mais, à ce moment, la précaution était suffisante pour endormir la vigilance des agens officiels du saint empire, qui d’ailleurs, quand il s’agissait de motifs pour rester tranquilles, n’étaient pas difficiles à satisfaire[1].

Mais ce qui contribua plus efficacement encore à calmer l’émotion publique, ce fut la sévère discipline que le lieutenant de Belle-Isle, M. de Leuville, sut faire observer à toute l’armée envahissante. Le passage du Rhin une fois opéré sans difficulté par les soins du maréchal de Broglie, qui commandait à Strasbourg, il fallait encore, pour atteindre la Bavière, traverser les territoires de beaucoup de petits souverains, auxquels on ne demandait que ce qu’on appelait, dans la langue diplomatique du temps, le passage inoffensif (transitus innoxius). Cette épithète, d’ordinaire assez peu justifiée, fut cette fois une vérité. Les soldats furent astreints non-seulement à n’exercer ni vexation, ni pillage chez les habitans, mais à payer généreusement tout ce qu’ils réclamaient pour leur subsistance. Ce fut une surprise et un charme pour ces populations, qui se trouvaient ainsi profiter au lieu de souffrir du passage de l’étranger ; vendant leurs denrées à des prix inespérés, elles s’empressaient de les apporter : « Nous avons abondance et affluence de tout (écrivait Maurice de Saxe, tout joyeux d’être placé à la tête d’une des divisions de l’armée) ; les paysans nous apportent même des lapins domestiques de toutes les couleurs, parce qu’ils savent que les Français en mangent. Tous les officiers concourent à la bonne discipline, et l’esprit en a passé jusqu’aux soldats. » Et un autre officier-général, écrivant à Belle-Isle, disait : « Nous avons changé et tourné la tête de tous les Allemands[2]. Dans ces excellentes conditions, la marche fut rapide et facile, et, dès le 10 septembre, les armées alliées campaient devant Lintz, chef-heu de la

  1. Belle-Isle au marquis de Leuville, 11 août 1741. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.) — Circulaire diplomatique du 7 juillet 1741. (Correspondance de Hollande.) — Fleury au grand-duc, 2 septembre 1741. (Correspondance de Vienne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Aubigné à Belle-Isle. 20 août ; Maurice de Saxe à Belle-Isle, 23 août ; Ségur à Belle-Isle, 31 août. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.)