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pas tous défendre la reine? — On ne peut répondre de tout, dit Robinson, mais si on pousse à bout l’Autriche, elle aura des amis. — Qui sont-ils, ceux-là? — Il y aura les Russes qui ne peuvent se passer de l’Autriche pour résister à la Turquie. — Bon ! bon! les Russes, je n’ai rien à vous dire, mais j’ai des moyens de me garder d’eux. — Il y en aura encore d’autres qui ont des devoirs et les rempliront, quelque pénibles qu’ils puissent leur paraître. » Le roi lui coupa la parole et mettant le doigt sur le bout de son nez : «Pas de menaces, monsieur, s’il vous plaît, pas de menaces. »

Podewils, épouvanté, interrompit à ce moment l’entretien par quelques paroles de conciliation, et Robinson, remis d’un instant d’émotion, reprit: «Je ne fais point de menaces, je dis ce qui ne peut manquer d’arriver, c’est le zèle du bien public qui m’amène ici. — Le bien public doit vous en savoir beaucoup de gré, mais écoutez : en ce qui touche la Russie, je vous ai dit ce qui en est; je n’ai rien à craindre du roi de Pologne; le roi d’Angleterre est mon parent, il ne m’attaquera pas, et, s’il le fait, le prince d’Anhalt a une armée qui aura soin de lui. — Mais ne craignez-vous pas, ajouta encore Robinson, que la reine au désespoir se jette dans les bras de la France? » Sur ce point le roi ne voulut rien répondre, mais élevant la voix avec une emphase théâtrale : « Enfin, dit-il, je suis à la tête d’une armée invincible, je suis maître d’un pays que je veux, que je dois avoir, et j’aime mieux mourir avec tous mes hommes que de m’en laisser chasser, surtout à prix d’argent. Mes ancêtres sortiraient de leurs tombeaux pour me reprocher de trahir les droits que je tiens d’eux. Et que dirait-on de moi si j’abandonnais une entreprise qui a été le premier acte de mon règne, que j’ai commencée avec réflexion, que j’ai poursuivie avec fermeté et que je veux mener à fin? Est-ce à un prince protestant de me conseiller de replacer de pauvres protestans opprimés sous la domination d’un clergé catholique qui les persécute? Et après tout, je suis le vainqueur et c’est au vainqueur à faire ses conditions. Je demande aujourd’hui la Basse-Silésie et Breslau, et si je ne les obtiens pas aujourd’hui, dans six semaines, je demanderai quatre duchés de plus. — Est-ce là votre dernier mot, dit Robinson, et la réponse que je dois porter à la reine? — Oui, mon cœur se soulève comme celui d’une femme grosse à m’entendre toujours faire la même question. » Et comme Robinson insistait pour qu’on lui laissât au moins expliquer en détail à Podewils la portée des propositions de la reine en lui en remettant le texte : — « Non, monsieur, dit-il, il est inutile d’y penser. » Et tournant le dos et prenant son chapeau, il se retira derrière le rideau qui partageait la tente. Robinson resta seul avec Podewils, qui ne paraissait guère moins déconcerté que lui. — « Vous vous fiez à la France lui dit-il; elle vous abandonnera. — Non, reprit Podewils, la France