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l’idole des Allemands, et il n’y a qu’un grand effort de votre part qui puisse déconcerter ses mesures. » Puis, après s’être applaudi en riant d’avoir réussi à bien duper les Anglais : « Est-ce ma faute ajouta-t-il, s’ils sont si sots[1]? »

A la réflexion il est probable que Frédéric pensa qu’il valait encore mieux brusquer que prolonger la conversation avec Robinson, et user de menaces que de ruse, car le jour de l’audience venu, à peine eut-il donné le temps à Robinson de décliner ses propositions, qu’il se leva tout droit devant lui dans une attitude qui simulait à la fois la surprise et l’indignation. L’offre (effectivement assez déplacée) de 2 millions à payer pour l’évacuation de la Silésie semblait surtout le mettre hors de lui. « Suis-je un mendiant, s’écria-t-il, pour qu’on m’offre de l’argent? Ai-je fait la guerre pour en attraper? Me croit-on d’humeur à vendre la gloire et les intérêts de ma maison? Allez offrir de l’argent à un petit prince comme le duc de Gotha et ses semblables. Je suis de ceux qui aiment mieux en donner que d’en prendre; mais la cour de Vienne où en prendrait-elle pour en donner? Voilà bien sa hauteur et son effronterie accoutumées. »

La cession proposée du duché de Gueldre n’eut pas plus de succès. « Podewils, dit le roi, en se tournant vers son ministre qui était présent à l’audience, qui est-ce qui reste à l’Autriche dans le duché de Gueldre? — Presque rien, dit le ministre en s’inclinant. — Vous voyez, c’est encore une gueuserie qu’on me propose. — Sa colère était telle (écrivait plus tard Robinson) que je crus le moment venu de lâcher la proposition du Limbourg. — Je ne puis comprendre, reprit le roi, comment l’Autriche peut songer ainsi à dégarnir sa frontière. En a-t-elle le droit? N’a-t-elle pas des traités avec la Hollande qui l’en empêchent ? « Il avait raison : par une convention conclue avec la Hollande, en 1713, et qui porte dans l’histoire diplomatique le nom de traité de la Barrière, l’Autriche s’était engagée à entretenir elle-même sur la frontière néerlandaise une ligne de fortifications défensives contre la France, ce qui supposait qu’elle n’aliénerait jamais ce territoire. «D’ailleurs, continua Frédéric, je ne veux rien avoir à démêler ni avec la Hollande, ni avec la France, qui ne m’ont point offensé et qui s’inquiéteraient extrêmement de me voir arriver dans leur voisinage. Et puis, ces cessions que vous me proposez, qui est-ce qui me les assurerait? » Robinson fit observer que son gouvernement en se portant médiateur se faisait aussi garant. « — Ah ! des garanties! et qui est-ce qui en tient compte dans ce temps-ci? Est-ce que tout le monde n’avait pas garanti la pragmatique? ne l’aviez-vous pas garantie vous-même? Pourquoi donc ne venez-vous

  1. Valori à Amelot, 28 juillet 1741. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)