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ses élèves, MM. de Féraudy et Leloir, combien comme M. Delaunayqui tiennent les leurs sous le boisseau! Quand imaginez-vous que M. Delaunay cédera son rôle de l’Étourdi à M. Le Bargy? Avant qu’il y pense, M. Le Bargy, dans ce rôle, parahra trop vieux pour le personnage. Il est vrai que M. Delaunay est excellent, parfait de tout point dans ce rôle, et non, comme ailleurs, un peu plus que parfait, ce qui gâte toujours mon plaisir; mais, je vous le demande, est-ce une raison pour qu’un jeune homme ne s’y essaie pas et ne se prépare pas dès maintenant à succéder à son maître quand celui-ci passera, presque sans intervalle, de la première jeunesse à la seconde enfance? Molière, d’ailleurs, n’a pas ce privilège de faire briller tout seul l’avarice de M. Delaunay : je ne sache pas que celui-ci prête ses rôles de Musset plus généreusement que ses rôles de l’ancien répertoire, Nous l’avons revu le mois dernier, sous l’habit de Perdican, lorsque Mme Bartet a débuté sous la guimpe de Camille; et jamais il ne nous a paru plus chaleureux, plus délicat, plus consommé virtuose qu’auprès de cette comédienne un peu grêle, un peu sèche de talent comme de personne. Mais, encore une fois, est-ce une raison pour qu’il ne s’apprête pas des successeurs? Il va nous trouver bien dur, bien pressé, bien méchant prophète. Nous serions patient s’il était éternel. Mais quoi! nous ne sachons pas qu’il possède cet attribut : tôt ou tard, — et le plus tôt sera maintenant déjà tard, — il faudra qu’il cède la place : il faudra donc que d’autres l’occupent. M. Volny, qui, un moment, l’avait doublé dans Fortunio, M. Volny, à ses débuts, tant applaudi dans Chatterton, se décourage à la fin et se dégoûte de l’inaction : il va chercher au Vaudeville le succès et la fortune que son camarade Guitry, moins soucieux de ses engagemens, a trouvés au Gymnase., Pour M. Davrigny, sur qui l’on fondait naguère de si belles espérances, désirez-vous savoir où il en est réduit? Fané à l’ombre et fatigué sans avoir joué, il tient à présent dans Phèdre un petit rôle de femme, celui de Panope, — car Panope est une femme, soit dit en passant, et doit comme ses compagnes paraître telle par le costume, à moins que ce ne soit un débardeur!

J’ai cité Phèdre, qu’on a donnée la semaine dernière, avec les Plaideurs, pour l’anniversaire de la naissance de Racine. Des Plaideurs je ne dirai rien, sinon qu’ils semblaient remontés un peu trop à la hâte, — comme si les Plaideurs ne devaient pas être toujours montés, — et que les comédiens, et M. Got lui-même, y poussent un peu trop leurs personnages à la charge, Mlle Dudlay jouait Phèdre. Je serais désolé, à coup sûr, de contrister cette belle personne, qui n’est que trop manifestement une laborieuse artiste. Ah ! qu’elle a de mérite ! Mais à quel point elle manque de génie et de facilité! Si M. Perrin a voulu, en lui confiant ce rôle, lui faire décerner par le public un prix de conscience et d’application, c’est bien; s’il a voulu seulement, par un tour ingénieux, se faire autoriser à reprendre, dès son retour, l’enfant prodigue.