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et toutefois charmant, devant lequel le lecteur passe trop souvent sans le voir, mais sur lequel s’arrête volontiers le musicien, » surtout, ajouterons-nous à notre tour, quand le musicien est un de ces fins lettrés que la fréquentation des bons auteurs et la pratique du meilleur monde ont formes de longue main aux travaux de ce genre. M. Sauzay nous raconte d’abord les origines du Sicilien ; viennent ensuite les renseignemens et les détails rétrospectifs : théâtres, acteurs, costumes, décors, mise en scène, musiciens et musique, y compris celle de Lulli et, comme complément de la représentation, le compte-rendu des journaux du temps. Quant à la coupe de la pièce, au rôle important donné à la musique, à la manière dont elle intervient dans le dialogue, on y peut voir le modèle de ce que nous appelons aujourd’hui l’opéra comique. Ainsi envisagé, le Sicilien nous ramène à la question musicale, et l’on se demande avec l’auteur de l’Essai si Molière a trouvé l’équivalent de son œuvre dans la musique de Lulli. Il suffira pour acquérir la preuve du contraire de se représenter l’œuvre du poète rayonnante encore de jeunesse et d’éclat à l’heure où nous sommes, tandis que la musique de son collaborateur est passée à l’état archéologique. Aussi Noverre ne s’y trompait pas lorsqu’il écrivait dans ses Lettres sur la danse : « Dussé-je me faire une foule d’ennemis sexagénaires, je dirai que la musique dansante de Lulli est froide, langoureuse et sans caractère. » À la vérité, le grand roi n’aimait et ne voulait que cette danse emperruquée ; à ses yeux comme à ses oreilles, un seul genre était bon : le genre ennuyeux. Faire autrement, faire leste et gai, c’eût été manquer de convenance, et Lulli, déjà porté aux respectueuses lenteurs du solennel et du pompeux galant, ne tendait que trop à s’associer aux habitudes de la cour. Tel était le système du règne, l’artiste et ses créations faisaient partie d’un ensemble inflexible. Tout ce qui alors écrivait, parlait, chantait ou dansait, devait se subordonner au caprice d’un monarque qui ne daignait lui-même s’amuser qu’à la condition de prélever une énorme somme d’adulations sur le divertissement de ses sujets.

Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire.
S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur.

Quel dommage que quelqu’un de nos petits-maîtres du commencement du siècle n’ait pas mis en musique cette agréable comédie de tuteur trompé qui devançait de cent ans le Barbier de Séville ! À défaut de Dalayrac, de Nicolo, de Boïeldieu, d’autres plus tard y songèrent, mais sans meilleur profit, aucune de leurs partitions n’étant restée. M. Eugène Sauzay cite l’ouvrage de Justin Cadeaux, « représenté à l’Opéra-Comique, » Ce n’est pas représenté qu’il faut dire, c’est tout simplement présenté, car cet ouvrage, reçu d’abord et même goûté de