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la veille de ses noces, se promener du côté des Pyramides, y rencontra Capoul sous le casque d’or et la cotte de mailles d’un prince circassien. Un prince circassien au bord du Nil, ô fantaisie ! nous ne sommes qu’au début, et déjà ce n’est plus un fabliau, c’est une énigme ; vous en verrez bien d’autres. La fille des califes commet l’imprudence de soulever ses voiles, le jeune guerrier en profite pour l’embrasser, et, tout de suite, au feu de ce baiser, l’incendie s’allume ! « Que parlez-vous d’une demi-lune, disait jadis le marquis de Mascarille dans les Précieuses, c’était bien une lune tout entière ! » Que nous parlait-on d’une opérette ? Le Saïs, dès l’entrée en jeu, tourne au drame lyrique, mieux encore, au grand opéra. Meyerbeer et Verdi n’ont pas l’envergure plus large ; des morceaux d’ensemble et des finales, comme dans le Prophète et dans Aïda, et quels duos d’amour ! de véritables frénésies avec syncopes, des pâmoisons d’une audace dont rougirait la sauvagesse Sélika ! Je me doute que là pourra bien être le succès de cette originale partition ; il n’y a que les femmes pour franchir ainsi toutes les barrières, et jamais un musicien du sexe fort n’eût poussé les choses à ce point. J’ai beau consulter mes souvenirs, ce baiser haletant sur lequel tombe le rideau du second acte n’a pas son pareil au théâtre.

Un dernier baiser sur ta lèvre de miel !


Le soir de la première représentation, Capoul et Mlle Landau, toute charmante dans la princesse Téfida,

Le cou gonflé d’amour et de soupirs mourans,


ont mis le feu aux quatre coins de la salle et, franchement, il était temps qu’un voile s’abaissât sur leur extase. Qu’on se figure une suite de tableaux fort jolis du reste, servant de prétexte à une série de morceaux plus aphrodisiaques les uns que les autres, une musique toujours ardente, trop ardente dans la passion, et très spirituelle parfois, très fine dans les hors-d’œuvre : couplets, romances et chansonnettes. — Plusieurs vous parleront à ce sujet d’inspiration et de phénomène ; à les en croire, ce serait un grand talent qui se révèle. Avec les musiques, ou plutôt les mosaïques de ce genre, on ne sait jamais que penser ; tous ces soleils de feu d’artifice ne prouvent rien, c’est au style seul que l’on reconnaît le compositeur, et le style du Saïs est absolument impersonnel : dire talent ou vocation serait trop, disons tempérament dramatique, cela suffit.

Quoi qu’il en soit, Capoul a dû beaucoup intervenir dans l’aménagement de l’ouvrage ; tout y est au gré de son talent et de sa personne. Les situations dramatiques procèdent par éclairs, les passages de force ne se prolongent guère au-delà de quinze mesures, tandis que la