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mais il est des situations qu’il faudrait peut-être mieux respecter ; on ne s’embrigade pas ainsi quand on a pour devoir de régler les courans, de gouverner, et tel croit faire le ministre qui ne fait que le chef de bureau. M. Proust a ses illusions, laissons-les-lui et lions-nous à cette vitalité caractéristique de l’heure actuelle, à cette force de production et d’impulsion capable de défier toutes les variations de la politique.

L’Opéra prépare sa campagne d’hiver dans le calme d’une situation favorisée par un été exceptionnellement heureux et par une saison d’automne dont l’électricité, ses congrès, ses jeux et ses banquets ont encore augmenté l’attraction. La grosse comète sur laquelle sont braqués tous les télescopes est toujours, à l’horizon, la Françoise de Rimini de M. Thomas. On s’en occupe activement, le matin, aux divers foyers des études et le soir dans les coulisses, où se colportent mille bruits contradictoires que répéteront les échos du lendemain, ce qui nous promet pendant un espace de trois ou quatre mois encore un assez joli contingent de fausses nouvelles et de démentis administratifs. On cite déjà le prologue dans l’enfer, l’apothéose dans le ciel, Virgile et Dante ; de la mise en scène, on passe à l’interprétation, qui naturellement ne saurait être que magnifique, étant donnés des artistes tels que MM. Lassalle, Sellier, Gailhard, Mlle Richard, jouant, qui le tyran Malatesta, qui Paolo, qui le page Ascanio. Quant à l’actrice choisie pour créer le rôle de Francesca, les avis sur elle sont très partagés, Il y a d’un côté, je ne dirai pas les connaisseurs, mais ceux qui la connaissent, et de l’autre ceux qui ne la connaissent pas et se tiennent discrètement sur l’expectative, tandis que les autres crient d’avance au miracle et compromettent leur héroïne à force de louanges. Qu’importe au public parisien que Mlle Caroline Salla soit élève de la Marchesi et qu’elle ait cueilli des brassées de lauriers sur les scènes de Vienne et de Pétersbourg ? Fût-elle même, comme on nous l’a raconté, cousine au trentième degré d’Alfred de Musset, qu’elle n’obtiendrait rien sans les qualités essentielles de jeunesse, de voix et de talent que le théâtre est en droit d’exiger d’une virtuose payée à si grands frais. Du reste, l’auteur a dû savoir ce qu’il faisait en fixant son choix après tant d’années d’incertitudes et de tergiversations, et s’il arrivait par malencontre que cette Francesca ne répondît point à l’idéal entrevu, M. Ambroise Thomas n’aurait à s’en plaindre qu’à lui-même, en se disant : « Tu l’as voulu ! »

C’est, à tout prendre, une excellente distribution d’ensemble que celle de l’ouvrage qu’on répète. Vous me direz que M. Sellier risque un peu de manquer de désinvolture et de style renaissance dans ce personnage extrapoétique de Paolo il Bello ; mais depuis que vous fréquentez l’Opéra, combien de fois vous est-il arrivé de voir les plus sveltes physionomies représentées autrement que par de gros garçons