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nos sympathies au roi Mavanda, véritable hippopotame, qui aimait à fourrer son énorme tête dans une citrouille peinte de noir et de blanc? Tous les voyageurs qui traversaient ses états étaient mis en demeure de le gratifier d’un haut-de-chausses; cinq mètres du plus large calicot en faisaient l’affaire. A notre avis, la place d’honneur doit être réservée à Chimbarandango, roi de Ngola. Toujours gris, toujours titubant, pour se retirer le soir dans sa hutte, il grimpait sur le dos d’un de ses conseillers, qui n’était pas moins ivre que lui. Le jour où le major Pinto eut l’honneur de lui être présenté, ce monarque était de fort belle humeur. Après une longue sécheresse, un orage venait d’éclater, et il avait rassemblé ses peuples pour leur annoncer que, si par malheur la pluie cessait de tomber, il se saisirait incontinent du misérable qui en serait la cause et qu’il le tuerait de sa main.

Les rois nègres sont des souverains qui peuvent tout se permettre en sûreté de conscience et tout oser impunément; ils n’ont à se mettre en règle ni avec la morale ni même avec l’arithmétique, et deux fois deux ne font quatre qu’aussi longtemps qu’il leur plaît. Qui pourrait les empêcher d’user comme ils l’entendent de leur pouvoir arbi- traire et de se livrer sans contrainte à leurs féroces caprices? Leurs sujets n’ont découvert jusqu’ici aucune loi ni dans la nature ni dans la société; il règnent sur des hommes pour qui l’univers n’est qu’une vaste confusion de détails incohérens et pour qui l’homme lui-même n’est qu’un détail oiseux entre mille autres. Dans une pièce mal faite, on peut tout supprimer sans faire trou ; dans un univers où rien ne se tient, Mavanda et Brito peuvent supprimer dix mille hommes sans que l’univers s’en aperçoive.

L’intelligence enfantine du nègre est incapable d’abstraction ; conclure du particulier au général est un effort qui dépasse son entendement. Il n’y a pour lui ni règles, ni principes, ni liaison fatale des causes et des effets, ni rien qui s’impose à son esprit comme une nécessité, et rien ne lui semblant nécessaire, il en conclut que tout est possible. Il porte dans sa tête laineuse un faux merveilleux qui le dispense de se rendre compte de quoi que ce soit; c’est plus tôt fait de tout expliquer par l’accident. Depuis le Sénégal jusqu’à l’Orange, personne n’admet que la maladie ou la mort puisse avoir des causes naturelles. Si quelqu’un tombe malade et meurt, c’est un mauvais tour que lui joue quelque âme de l’autre monde ou l’effet d’un sort que lui jeta la malice d’un vivant. Ce qui console l’Africain, c’est qu’il estime que les forces aveugles qui le menacent peuvent être tenues en échec par d’autres forces occultes, qu’il se flatte d’asservir à sa volonté par de mystérieuses pratiques. Sa religion est une obscure magie, ses prêtres sont des devins et des sorciers, ses dieux sont ses fétiches, dieux intermittens, dieux de rencontre et de louage, dieux qu’il prend à l’essai et qu’il jette bien vite au rebut s’ils s’avisent de lui manquer