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renoncer à tout, de tout braver, de tout endurer, pour porter des consolations à un Bassouto et la grâce à une misérable négresse du royaume de Barozé. Quelques-uns, comme Livingstone, joignent aux ardeurs de la charité toutes les curiosités du savant ; leurs noms glorieux demeureront à jamais inscrits en lettres d’or dans le martyrologe africain. M. Pinto rencontra à Lechouma, dans le voisinage de la cataracte du Zambèze, un missionnaire français et protestant, qui n’est pas un Livingstone, mais qu’il proclame le meilleur des hommes qu’il ait jamais connus, unissant à beaucoup d’instruction, à une intelligence supérieure, l’indomptable volonté et l’insondable mansuétude. Ce missionnaire, nommé François Coillard, qui, après avoir passé vingt-cinq années en Afrique, est aujourd’hui de retour parmi nous, étonnait notre Portugais par la tranquillité surhumaine de son courage. Il éprouvait une impression singulière en le voyant traverser de nuit d’épaisses forêts, hantées par les fauves, sans autre arme qu’une houssine à peine assez forte pour écarter les grandes herbes qui obstruaient son chemin. « Par momens, nous dit-il, M. Coillard me faisait l’effet le plus extraordinaire ; il y avait en lui quelque chose qui dépassait mon intelligence. Un jour qu’il me contait un des épisodes les plus pathétiques de ses voyages, il conclut en disant : — Nous étions à deux doigts de notre perte. — Bah! repartis-je, vous aviez des armes, une escorte, dix serviteurs dévoués, résolus à vous défendre. — Il hocha la tête et me répondit : — Je ne me serais sauvé qu’en répandant du sang, et jamais je ne tuerai un homme pour sauver ma vie, ni même celle des miens. — Ces paroles me révélaient un type de l’espèce humaine complètement nouveau pour moi et auquel je ne saurais rien comprendre, bien que je l’admire de toutes mes forces. » Il est permis de préférer la sagesse de Platon, la philosophie de Spinoza ou même les simples aphorismes du sens commun à la divine folie de la croix ; mais le sage qui ne sait pas admirer une folie qu’il est incapable de comprendre est un sage fort incomplet.

Si M. Coillard étonnait beaucoup le major Pinto, on peut croire que le major Pinto n’étonnait pas moins M. Coillard. Les savans qui risquent leur peau pour découvrir une loi cachée de la nature ou pour s’informer si décidément le lac salé qu’on appelle le grand Macaricari déverse, oui ou non, ses eaux vers la côte orientale de l’Afrique, sont à leur façon de vrais missionnaires. Mais le major Pinto n’est pas précisément un savant de race ou de profession ; il faut plutôt le ranger parmi les curieux, pourvu qu’on s’empresse d’ajouter que c’est un curieux fort instruit et que son voyage d’exploration a rendu de sérieux services à la géographie, surtout en ce qui concerne les vastes régions inconnues situées entre Benguela et le cours supérieur du Zambèze. Toutefois, ce qui le poussait, c’était moins l’ambition des découvertes et le désir de savoir que la fureur d’oser et de courir. Il a le tempérament