Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
VOYAGE DU MAJOR SERPA PINTO
DANS L’AFRIQUE AUSTRALE

L’excellence de l’homme, sa supériorité sur toutes les espèces d’animaux à nous connues ne consiste pas à être mieux organisé que les autres êtres pour le bonheur. Tout au contraire, il est le seul qui aux maux inévitables que lui infligent la nature et la destinée en ajoute d’autres de sa façon, le seul qui ait l’audace de chercher le malheur, le seul qui possède la glorieuse faculté de la souffrance volontaire et le goût étrange de sacrifier de gaîté de cœur ses aises, les douceurs du monde, les commodités de sa vie à quelque rêve, à quelque chimère qu’il adore en la maudissant, à quelque idée nette ou confuse dont il a fait sa maîtresse et dont il se sent possédé et tourmenté.

C’est une réflexion qui se présente naturellement à l’esprit quand on vient de lire l’émouvant récit des hasards et des dangers courus par l’un de ces intrépides explorateurs du continent noir qui sont nos Thésée, nos Pirithoùs, nos Jason, nos Argonautes. Encore Jason ne pénétra-t-il en Colchide au péril de sa vie que pour s’emparer de la toison d’or, ce qui diminue sensiblement l’admiration qu’il nous inspire. Nous ne sommes pas disposés non plus à glorifier outre mesure le cou- rage de tel aventurier anglais ou ibérien, qui s’enfonce audacieusement dans les solitudes de l’Afrique, à la seule fin d’y faire une ample et fructueuse récolte de plumes d’autruche ou de défenses d’éléphant, a Je voudrais, s’écriait l’un d’eux, que tout ce que je vois, tout ce que je touche fût de l’ivoire et m’appartînt. » La soif de l’or, le feu de la convoitise, la fureur d’accumuler, accomplissent des miracles qui peuvent nous étonner sans que nous soyons tenus de les admirer. Mais le major portugais,