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Ils sont aussi impies et intolérans, non moins téméraires et utopistes, non moins raides et sectaires. La partie paisible de la population ne s’y trompe point. La grande majorité de la bourgeoisie et du peuple de Paris, qui au printemps de 93 regrette encore la constitution de 91, ne distingue pas les girondins de leurs adversaires. A ses yeux, ce sont tous également des usurpateurs et, de fait, les girondins semblent bien des révolutionnaires, dans li pire sens du mot. Jusqu’à la chute de la royauté, ils n’ont montré pour la légalité que des scrupules de forme ; s’ils n’ont pas fait les émeutes, ils leur ont aplani la route avec Pétion, ils en ont recruté le contingent avec Barbaroux, ils les ont équipées et leur ont mis en main les piques des sections en décrétant l’armement des citoyens passifs.

Entre les girondins et les jacobins la grande différence, c’est que les premiers sont plus polis, plus lettrés, qu’ils ont gardé des habitudes de tenue et même des goûts d’élégance, que de l’ancien régime ils conservent le goût de la société et de la conversation, qu’ils ne savent point imiter les familiarités populacières de Danton, ni se loger comme Robespierre chez un menuisier, ce qui, aux yeux du peuple, leur donne un faux air d’aristocrates. Par penchant comme par principe, ils répugnent à la dictature de la canaille; ils prétendent établir, dans leur cité idéale, le règne des lois, mais leurs combinaisons abstraites sont chimériques, et, dans la lutte, toutes leurs qualités de penseurs et d’hommes du monde sont pour eux une cause de faiblesse, sans compter qu’avec leur incohérence et leur indiscipline, tous ces beaux parleurs, sans chef reconnu, n’ont jamais su former un vrai parti politique.

Les girondins ne sont pas les seuls à sortir amoindris de la Conquête jacobine. Les chefs de la montagne ne sont pas plus heureux, Danton en particulier, a qui avec une double infidélité recevait, l’argent du roi pour empêcher l’émeute et s’en servait pour la lancer[1], » Danton, dont M. Taine a de nouveau démontré la participation aux massacres de septembre, et qui, au 31 mai, conspirait contre la représentation nationale, de même qu’au 10 août contre la royauté. Je ne m’arrêterai pas à plaider les circonstances atténuantes ni pour Danton, ni même pour les girondins, —-leurs tardifs scrupules, leur sincérité, leur désintéressement, la noblesse de leur mort. La superstitieuse dévotion d’adorateurs en quête d’idoles peut seule diviniser tel ou tel des grands lutteurs de la révolution ; en fait, elle me paraît manquer de saints ou de héros dignes d’elle. On ne saurait la personnifier dans aucun nom, l’incarner dans aucun homme. Chez ses principaux acteurs la grandeur

  1. Révolution, t. II; la Conquête jacobine, p. 258-289.