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doctrine. « Faire de l’histoire, nous dit-il quelque part encore, c’est faire de la psychologie, » et pour lui, comme pour la plupart de ses contemporains, la psychologie est inséparable de la physiologie. Aussi est-ce là ce qu’il fait surtout ; — physiologie du XVIIIe siècle, physiologie de la révolution, physiologie des jacobins ; — c’est là le côté le plus neuf et le plus frappant de son ouvrage. Aucun historien n’a ainsi démêlé les idées et disséqué les doctrines. Il fait pour ainsi dire l’autopsie de la révolution, car, en vrai fils du XIXe siècle, il est anatomiste comme il est peintre ; il scrute les organes les plus cachés, il en démontre les lésions, il met à nu les viscères et il trouve le cerveau détraqué et le, cœur pourri. Aux yeux de l’historien naturaliste, la révolution finit par devenir une sorte de maladie organique attaquant à la fois le corps et l’esprit. Il se la figure comme une affection nerveuse, provoquée par l’alcoolisme. Pour résumer ses impressions, il termine le premier volume de la Révolution par une page que, sauf la dignité du style, on dirait empruntée à l’Assommoir de Zola, nous représentant le peuple, comme le Coupeau du romancier, « enivré de la mauvaise eau-de-vie du Contrat social et de vingt autres boissons frelatées et brûlantes, » en proie au delirium tremens et capable de toutes les folies et de tous les crimes. Certes, une pareille image semblerait plutôt convenir à la sanglante et stérile commune de 1871. Il n’est pas besoin d’en appeler à Mirabeau et à Lafayette pour démontrer que ce n’est pas là toute la révolution; mais, dans la France de 1793, peut-on nier que, durant des semaines et des mois, la révolution n’en fût tombée là?

A tout prendre, il n’est, du reste, pas mauvais que l’historien ou le moraliste nous découvre de temps en temps l’animal et la brute toujours vivante au fond de l’homme civilisé, qu’il nous fasse voir le sauvage ou le cannibale que nos vieilles sociétés raffinées portent toujours dans leur sein et qui, aux époques d’anarchie, se rue en aveugle contre tout ce qui fait le prix de notre civilisation. N’auraient-elles d’autre avantage que de nous empêcher de nous endormir dans l’optimisme idyllique et les rêves d’églogue du XVIIIe siècle, de telles peintures auraient leur utilité. Chaque génération, en effet, n’est que trop disposée à croire impossible le retour des forfaits et des extravagances dont ses pères ont été témoins. Qui de nous n’entendait, à la veille de la commune de 1871, nier la possibilité d’une nouvelle terreur? Pour emprunter une comparaison chère à M. Taine, nous nous persuadons qu’au fond des peuples modernes la bête féroce est morte pour toujours, ou, mieux, nous nous flattons que la panthère humaine a été domptée et dressée par la science, adoucie par l’instruction, apprivoisée par la civilisation, qu’il n’y a plus rien à redouter de sa dent ou de ses griffes, et nous