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aucune recette, on devait donc prévoir d’indispensables augmentations de dépenses ; mais, indépendamment des justes demandes de toutes les administrations, il était une dépense bien plus considérable que la politique imposait : c’était le développement des voies ferrées. Entrepris par les gouvernemens déchus, les chemins de fer italiens avaient été étudiés au point de vue des intérêts régionaux : aucune vue d’ensemble n’avait présidé à leur établissement. Des soudures, exécutées à la hâte, avaient relié les uns aux autres ces petits réseaux ; mais la Lombardie était la seule partie du royaume qui fût convenablement desservie, et les villes les plus importantes ne communiquaient avec Rome que par des voies tortueuses et au prix de longs détours. L’exécution de nombreuses voies ferrées était donc indispensable pour que l’action du pouvoir central pût s’exercer sur tous les points avec une égale rapidité et une égale efficacité : c’était le seul moyen de lutter contre la persistance des tendances particularistes et de rendre sensible l’unité de la monarchie. Cette considération primait toutes les autres ; car si les nouveaux chemins de fer pouvaient aider à développer la prospérité de quelques provinces, on ne pouvait, d’autre part, se dissimuler qu’ils mettraient en péril une des branches les plus importantes de l’activité nationale. La plupart des villes importantes d’Italie sont situées sur les côtes ou à peu de distance de la mer; c’était par cette voie qu’elles expédiaient leurs produits et qu’elles recevaient ceux de l’étranger, la construction de chemins de fer parallèles aux côtes, qui a porté en France un coup mortel au cabotage, ne pouvait manquer d’avoir les mêmes effets en Italie; elle y a ruiné la navigation, jusque-là très florissante.

L’importance de la dépense, l’incertitude du produit, l’expérience malheureuse qu’on avait faite de l’intervention de l’industrie privée : tout concourait à imposer à l’état la construction des nouveaux chemins. On pouvait, à bon droit, se montrer effrayé de la dépense. La configuration de la péninsule entraînait l’établissement de chemins d’une très longue étendue; les lignes parallèles aux côtes avaient à couper d’innombrables vallées; les lignes transversales avaient à traverser des chaînes de montagnes qui ne pouvaient être franchies qu’au prix de travaux fort difficiles et dispendieux : le seul transport des matériaux, dans un pays dépourvu de routes, entraînait une dépense considérable. On devait donc calculer sur un prix kilométrique très élevé, et ce prix, multiplié par le nombre de kilomètres à construire, représentait des centaines de millions. Où les trouver avec un budget péniblement ramené à l’équilibre et lorsqu’on semblait avoir épuisé toutes les ressources de la fiscalité pour grossir le revenu public?