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sur la mouture n’était pas un mauvais impôt : il était léger, il se percevait facilement et économiquement, et il produisait beaucoup ; il ne donnait lieu à aucune plainte dans les régions de l’Italie où il existait de longue date et où il était entré dans les habitudes de la population. Le paysan qui avait conduit plusieurs sacs de grain au moulin le plus proche ne discernait point dans les quelques mesures de farine que le meunier lui retenait la quantité qui représentait la rémunération du travail effectué et celle qui représentait l’impôt dû au gouvernement. Il n’en était pas ainsi dans les provinces où le droit sur la mouture avait été introduit comme une des conséquences de leur annexion au royaume d’Italie : là cet impôt était réellement impopulaire. Les provinces napolitaines, habituées à ne payer que 6 francs d’impôts par tête sous le gouvernement des Bourbons et dont les taxes avaient plus que quadruplé, mettaient le droit sur la mouture au premier rang de leurs griefs contre le nouveau régime; mais c’était en Sicile que les plaintes les plus vives se faisaient entendre. Pour les députés siciliens, le droit sur la mouture était un des principaux prétextes de l’opposition systématique qu’ils faisaient à tous les ministères quels qu’ils fussent, à ceux de gauche comme à ceux de droite. On pouvait donc considérer cet impôt comme une cause permanente de désaffection au sein des nouvelles provinces : c’était, dans tous les cas, une arme redoutable que les républicains et les partisans des dynasties déchues s’accordaient à employer contre le gouvernement et qu’il importait d’enlever à ces ennemis de la nouvelle monarchie.

On se trouvait en face d’un obstacle sérieux et que nombre de gens regardaient comme insurmontable : cet impôt produisait plus de 80 millions par an, soit un dixième des recettes ordinaires; les financiers prudens faisaient remarquer que ce produit s’accroissait aussi régulièrement que les autres recettes du trésor, et ils en tiraient cette double conclusion qu’il n’avait rien d’excessif et qu’il entrait peu à peu dans les habitudes des populations. A leur avis, toute hostilité cesserait avec le temps, et il fallait y regarder à deux fois avant de sacrifier un revenu considérable qu’on ne saurait comment remplacer. Non-seulement ces considérations, qui avaient pour interprètes, dans les deux chambres, des hommes investis d’une légitime autorité étaient de nature à foire hésiter le parlement, mais le problème à résoudre se compliquait d’une autre difficulté. Les principales administrations ne pouvaient demeurer plus longtemps dans l’état d’indigence où on les laissait depuis dix ans ; le service public et même le revenu en souffraient; il fallait accroître le personnel et aussi améliorer sa situation, ne fût-ce que pour se mettre à l’abri de la négligence et de la corruption. Loin de songer à sacrifier