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produits nationaux, on soumit à des taxes tout ce qui entrait dans l’alimentation du peuple ou contribuait à ses jouissances : le pain, la viande, le sel, les liquides, les tabacs. Dans cette hâte à créer de nouvelles ressources, on commit même une mauvaise action, dont les conséquences financières pourraient servir de leçon aux gouvernemens qui voudraient entrer dans la même voie. Les biens du clergé et des congrégations religieuses parurent à des financiers peu scrupuleux une proie facile dont la dévolution à l’état permettrait de combler les déficits du budget. A l’aide des argumens traditionnels empruntés aux abus de la mainmorte et à l’administration défectueuse des biens ecclésiastiques, on consomma la dépossession du clergé et des ordres religieux ; mais cette loi de désamortistion, sur laquelle on fondait de si grandes espérances, aboutit à une déception. Parmi ces propriétés qu’on avait prisées si haut, il s’en trouva un grand nombre : églises, chapelles, oratoires, dont la valeur historique ou artistique était incontestable, mais qui, loin de pouvoir produire le moindre revenu, exigeaient un entretien fort onéreux: la conversion des couvens en prisons ou en casernes entraîna des dépenses d’appropriation considérables sans donner des résultats satisfaisans, puisqu’à Rome même, où les édifices inoccupés ne manquent pas, on vient de décider l’évacuation de plusieurs de ces casernes improvisées et la construction de bâtimens neufs. On ne pouvait, sans infliger à la nation une humiliation profonde, aliéner les objets d’art, les bibliothèques, les collections de toute nature, dont on dépouillait les ordres religieux, et pour n’en point priver le monde savant, il fallut en ordonner le transfert et la réunion aux musées nationaux. Ces opérations ont amené d’innombrables détournemens qui ont fait disparaître quelques-uns des vestiges les plus précieux de l’antiquité. Pendant presque toute cette année 1881, l’accès du célèbre musée Kircher et des autres collections réunies au Collège romain a été interdit rigoureusement au public pour permettre, disait-on, des réparations intérieures; mais ce n’était là, dans l’opinion générale, qu’un prétexte : le motif réel de cette fermeture prolongée devrait être cherché dans des détournemens qui venaient d’être constatés et qui donnaient lieu à d’activés investigations. La nomination officielle d’une commission d’enquête est venue, depuis lors, justifier ces suppositions des Romains. Eût-on même épargné à l’art et à la science bien des pertes regrettables, le trésor italien n’eût retiré aucun avantage des richesses artistiques enlevées au clergé; quant aux immeubles et aux biens susceptibles d’être mis en location, le revenu qu’ils ont donné a toujours été loin découvrir les traitemens qu’il a fallu assurer au clergé paroissial et les pensions viagères, quelque minimes qu’elles soient, qu’on sert aux