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demi révolutionnaires de la politique italienne depuis quelques années. Le langage du ministre des affaires étrangères a été manifestement plus embarrassé, quoiqu’il n’ait pas manqué de noblesse et même d’habileté dans la manière de représenter les choses. Au fond, que reste-t-il de ces explications ? L’Italie, au moment de l’arrivée de M. Mancini au pouvoir, il y a quelque six mois, se serait trouvée dans des conditions assez difficiles ; elle aurait été l’objet de méfiances peu fondées mais réelles, tant à Berlin qu’à Vienne. En un mot, elle était suspecte ; peu écoutée et isolée. Elle n’a pas trop senti les inconvéniens de cette situation pendant quelque temps. Le jour où les affaires de Tunis ont éclaté, l’isolement lui a été insupportable, et presque aussitôt le voyage royal en Autriche a été négocié, puis décidé. Le roi a été à Vienne et s’il n’est pas allé à Berlin, ce n’est pas sa faute, c’est que le cabinet allemand a déclaré « qu’il considérait comme à lui adressés les actes de politesse de la cour d’Italie à l’égard de Vienne. » Qu’a-t-il produit en réalité ce voyage interrompu à mi-chemin ? Le ministre des affaires étrangères du roi Humbert, sans être très explicite, en a dit assez. Il y a eu beaucoup de cordialité, point d’alliance. L’Italie n’est allée à Vienne que pour je bien de la paix, et comme pour donner un gage de ses intentions, comme pour détourner d’avance toute pensée d’hostilité ou de protestation contre un autre pays, le gouvernement italien négociait en même temps un traité de commerce avec la France. A ceux qui le pressaient d’accentuer la signification du voyage de Vienne, M. Mancini a répondu avec autant de vivacité que de prévoyance : « Non, nous ne voulons pas de la politique qu’on nous suggère, parce que c’est la politique de la guerre, tandis que nous voulons la paix. »

Rien de mieux, Cette paix dont on parle, elle est assurément dans l’intérêt des deux pays. Le cabinet de Rome le sent avec raison ; mais alors pourquoi, au moment même où l’on invoque un traité de commerce comme un gage d’intentions amicales, affecter de déclarer que l’Italie seule, « au milieu de l’indifférence générale de l’Europe, » a refusé jusqu’ici de reconnaître la situation créée à Tunis par le traité du Bardo ? Pourquoi choisir cette heure pour multiplier les armemens, comme s’il y avait quelque ennemi menaçant l’indépendance italienne ? Pourquoi se perdre dans ces contradictions et ces confusions ? Si c’est pour donner une satisfaction apparente à des passions encore surexcitées, c’est un jeu toujours périlleux. L’Italie ne s’aperçoit pas qu’au lieu de mettre un terme à l’isolement dont elle se plaint, elle finit par l’aggraver ; elle se crée cette situation indéfinissable où elle s’agite au milieu de cette « indifférence générale de l’Europe » dont elle parle. Tous les Italiens sensés, nous n’en doutons pas, souhaitent de reprendre le plus tôt possible avec notre pays des relations de cordiale amitié qui sont si naturelles, et la France le désire comme eux.