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cela voulait dire plus ou moins : « Nous ne contestons pas votre droit, mais nous blâmons l’usage que vous en avez fait… » M. le président du conseil s’est cru obligé d’engager vivement le combat pour chasser du rapport de la commission ce modeste vœu, dont il ne pouvait pas méconnaître la légitimité, qui l’importunait cependant. Un moment, il n’a pu s’empêcher de s’écrier avec impatience : « Je sais bien qu’on ne vote pas sur un vœu. Le vôtre ne se trouve ici que dans le rapport ; mais il y est ! » Il y était effectivement, et c’est précisément à cette occasion que M. Ribot, d’une parole sobre, pressante et décisive, s’est fait le champion du droit parlementaire. M. Gambetta l’avait provoqué assez directement, il a répondu à l’appel, et dans cette lutte, parfaitement courtoise d’ailleurs, il s’est élevé sans effort à une éloquence dont la simplicité a peut-être doublé l’effet. D’un coup, il a conquis l’assemblée.

Libéral et constitutionnel par ses opinions, rattaché par raison et avec une complète sincérité à la république, adversaire résolu des mesures violentes qui se sont succédé depuis quelques années sous une couleur républicaine, alliant à la netteté de l’esprit la fermeté du caractère, M. Ribot est aujourd’hui dans la chambre un des rares députés demeurés fidèles à une politique de modération éclairée. Plus heureux que M. Bardoux, que M. Lamy aux élections dernières, il est sorti victorieux d’une lutte où il a rencontré devant lui une sorte de radicalisme plus ou moins officiel. Il est revenu dans l’assemblée nouvelle pour être ce qu’il était avant les élections, un parlementaire, un modéré sans affectation et sans impatience, prêt à combattre les excès des partis, et convaincu que la raison, fut-elle par momens humiliée et isolée, finit toujours par avoir son heure. Sa position vis-à-vis du nouveau ministère, il l’a définie lui-même l’autre jour en déclarant qu’il n’avait aucune intention de susciter des difficultés au gouvernement, qu’il attendait ses actes, ses projets de réformes. Ce n’est donc point par un sentiment d’hostilité systématique contre le ministère ; principalement contre le président du conseil, qu’il s’est levé il y a quelques jours dans la chambre. Il n’a même pas refusé d’une manière absolue au gouvernement le droit strict de faire ce qu’il a fait dans les limites de la constitution tel le qu’elle existe ; mais il a vu à côté un autre droit incertain ou méconnu, celui du parlement, et c’est ce droit qu’il a soutenu avec autant d’éclat que de fermeté, en son propre nom aussi bien qu’au nom de la commission qu’il représentait. Il a montré le danger de laisser à des cabinets qui passent la faculté exorbitante de changer l’organisation des services publics, d’introduire par calcul de parti l’instabilité dans l’administration de l’état. Il a rappelé, que même dans les pays monarchiques comme la Prusse, comme l’Italie, la création de nouveaux ministères rentrait dans le domaine législatif,